Un total de près de 124 millions d’entreprises individuelles ont été recensées à travers la Chine fin 2023, représentant une augmentation de 11,4% par rapport à l’année précédente, dans un contexte de relance économique compliquée.
Lors d’une conférence de presse tenue le 31 janvier par le Bureau d’information du Conseil des Affaires d’État chinois, Ren Duanping, directeur du Bureau d’enregistrement de l’Administration d’État pour la régulation du marché, a annoncé que la Chine avait enregistré 22,582 millions de nouvelles entreprises individuelles, soit une augmentation de 11,4 % par rapport à l’année précédente.
Près de 124 millions d’entreprises individuelles ont été recensées dans tout le pays fin 2023, représentant 67,4% du total des entités commerciales, soutenant près de 300 millions de personnes employées.
Les entreprises individuelles et auto-entreprises sont des configurations d’entreprises répandues parmi les petits commerçants en Chine. Elles « jouent un rôle important dans la stabilisation de la croissance, la promotion de l’emploi et l’amélioration du niveau de vie de la population », a souligné Ren Duanping, avant d’ajouter que l’administration d’État pour la régulation du marché continuerait de prendre des mesures pour soutenir et promouvoir le développement de ces dernières.
Des mesures fiscales pour soutenir l’entrepreneuriat
Le ministère chinois des finances avait en effet dévoilé, en mai dernier, un ensemble de mesures d’allègement fiscal visant à soutenir les auto-entreprises et entreprises individuelles, alors que la deuxième économie mondiale se débattait dans une reprise post-COVID.
Dans un contexte de faible demande, tant à l’intérieur du pays qu’à l’étranger, la reprise économique chinoise s’était essoufflée depuis le mois d’avril, renforçant la pression sur les décideurs politiques pour relancer l’économie, alors que de nombreuses entreprises étaient confrontées à une baisse des commandes, à des difficultés de financement et à une diminution de leurs bénéfices.
Le ministre avait alors annoncé des réductions d’impôts pour différents groupes de population, notamment les diplômés de l’enseignement supérieur et les personnes qui sortent tout juste de la pauvreté, dans le but de soutenir l’entrepreneuriat.
Ceux qui devenaient travailleurs indépendants étaient exemptés de la taxe sur la valeur ajoutée, de la taxe sur l’entretien et la construction des villes, de la taxe supplémentaire sur l’éducation, de la taxe supplémentaire sur l’éducation locale et de l’impôt sur le revenu des personnes physiques à hauteur de 20 000 yuans (2 600 euros) chaque année pendant trois années consécutives à partir de la date d’enregistrement.
Il avait également annoncé la suppression de la TVA pour les petits contribuables dont les ventes mensuelles sont inférieures à 100 000 yuans (13 000 euros) et la réduction du taux sur les revenus des ventes imposables à 1 % pour ceux qui sont normalement éligibles à un taux de 3 % jusqu’à la fin de 2027.
Le taux de TVA standard pour les entreprises en Chine est normalement de 13 %, mais il existe également des taux réduits de 9 %, 6 % et 3 % pour les plus petites entreprises. Les revenus d’intérêts provenant des micro-prêts accordés par les institutions financières aux entreprises individuelles avaient également été exonérés de TVA jusqu’à 2027.
Les travailleurs indépendants, 44,53% du marché de l’emploi
Les entreprises individuelles et travailleurs indépendants prolifèrent en Chine depuis les années 80, lorsque le pays a intensifié ses efforts pour réformer son économie et s’engager sur le marché mondial. Si certaines d’entre elles sont devenues des entités de renommée mondiale, comme le fabricant d’équipements lourds Sany Group ou encore le fabricant d’appareils électroménagers Midea Group, la majorité restent des petites et moyennes entreprises familiales présentes sur des marchés de niche, principalement dans l’industrie manufacturière et le commerce.
En 2021, le nombre de travailleurs indépendants représentait 44,53 % du marché de l’emploi en Chine, selon les données de la Banque mondiale.
Plusieurs raisons peuvent expliquer pourquoi les Chinois se tournent vers l’entrepreneuriat.
Tout d’abord, le taux de croissance économique étant actuellement en baisse dans le pays, les entreprises tentent de réduire les coûts en optimisant la structure de l’emploi et cela passe généralement par des réductions de personnel. La sous-traitance de la charge de travail à des travailleurs indépendants ou entreprises individuelles permet alors aux entreprises d’alléger les dépenses.
A cela s’ajoute le fait que les générations Millennials et Gen Z, représentant désormais la majorité de la main-d’œuvre sur marché du travail, sont plus réceptives aux méthodes de travail flexibles. Selon une récente étude de Deloitte, quatre personnes interrogées sur cinq ont indiqué qu’elles seraient engagées dans un travail freelance ou contractuel, et 61 % étaient prêtes à accepter un travail à temps partiel flexible.
Et ces générations peinent à trouver un emploi en Chine. Le taux de chômage des jeunes âgés de 16 à 24 ans dans la deuxième économie mondiale – excluant les étudiants – s’élevait à 14,9 % en décembre dernier, selon les données mensuelles du Bureau national des statistiques de Chine. Ce chiffre est à comparer au taux de chômage urbain total de la Chine, qui était de 5,1 % pour le même mois.
Tous ces facteurs combinés ont ouvert une période de croissance pour les travailleurs indépendants de la nouvelle génération et pour le marché de l’entrepreneuriat.
Le travail indépendant, « un chômage déguisé » ?
Cependant, tout ne serait pas si rose. Selon Shuting Xia, chercheuse en sociologie de l’université de Cambridge spécialisée dans l’étude du travail indépendant en Chine, « il n’est pas exagéré d’affirmer que l’essor du travail indépendant en Chine n’est qu’un chômage déguisé ».
Elle explique que les travailleurs indépendants sont habituellement les plus précaires sur le marché du travail, « un cinquième des migrants ruraux vers les villes, souvent les plus pauvres, exercent des activités indépendantes, une proportion beaucoup plus importante que celle de leurs homologues urbains non migrants ». La raison la plus fréquemment invoquée pour exercer une activité indépendante ne serait en fait pas le désir de profiter de bonnes opportunités entrepreneuriales, mais plutôt le fait qu’il n’y ait tout simplement pas de meilleures alternatives pour générer des revenus.
Les activités indépendantes sont, selon elle, essentiellement axées sur la « subsistance » et la majorité des indépendants travaillent dans le secteur sous-développé des services. Ils exercent souvent des tâches mal rémunérées, tels que la coiffure, la couture, la vente de produits d’épicerie et la finition de photos, explique la chercheuse, en ajoutant qu’en raison de la prédominance de la structure de l’entreprise individuelle et du sous-développement des marchés de capitaux en Chine, les entreprises indépendantes ne deviennent pas grandes : les travailleurs indépendants et les propriétaires uniques évoluent rarement vers le statut d’employeur.
En ce sens, elle conclut en indiquant que le travail indépendant en Chine constitue souvent une réaction aux désavantages structurels de l’accès au marché du travail et qu’il serait judicieux de soutenir davantage le secteur des entreprises privées non indépendantes, qui contribue à hauteur de 60 % au produit intérieur brut de la Chine et constitue la plus grande source d’emplois.
Assouplir les réglementations du marché
La semaine dernière, le Fonds Monétaire International (FMI) a publié un rapport affirmant que le déclin économique de la Chine devrait se poursuivre au cours des quatre prochaines années, le pays devant faire face à une série de défis tels que le vieillissement rapide de la population, l’augmentation du chômage et la crise immobilière.
Dans le rapport, l’organisme mondial de politique financière prévoit que la croissance économique de la Chine tombera à 4,6 % en 2024, contre 5,2 % en 2023, puis à 3,4 % d’ici à 2028.
Le FMI a recommandé au gouvernement chinois d’encourager ses citoyens à trouver de nouveaux moyens d’investissement et de poursuivre les réformes orientées vers le marché, entre autres, afin de stimuler l’économie du pays.