Le ministère sud-coréen de la Culture modifie les critères de financement des universités pour freiner « l’invasion des arts libéraux »

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17 février 2023

Le ministère de la Culture de Corée du Sud a publié de nouveaux critères pour l’octroi de fonds aux universités afin de freiner « l’invasion des arts libéraux ». L’examen du lycée servant de test d’entrée dans les grandes universités favorise les lycéens de la filière scientifique par rapport à la filière littéraire.

université de Séoul
Salle de classe de l’université de Séoul en Corée du Sud | © Changbok Ko

Le ministère de l’éducation de Corée du Sud a publié un plan comprenant de nouveaux critères pour le financement des établissements d’enseignement supérieur. Ces critères sont perçus comme un moyen d’essayer d’enrayer les distorsions dans les admissions à l’université, qui favorisent les lycéens des filières scientifiques sur les autres.

Dans son plan 2023 de soutien aux universités contribuant à l’enseignement supérieur publié le 17 février, le ministère de l’éducation énonce les critères de répartition des fonds annuels alloués aux universités du pays. Un total de 57,5 milliards de wons (41 millions d’euros) sera partagé entre les 91 universités qui remplissent les critères du gouvernement pour l’allocation des subventions.

Mais le gouvernement a décidé cette année de modifier la méthode d’évaluation décidant du montant des fonds. L’enjeu est de taille puisque le financement, qui peut aller de 250 à 750 millions de wons (180 000 à 540 000 euros), sera réduit de 20 % pour les universités peu performantes et réallouée à celles qui ont obtenu les meilleurs scores d’évaluation.

Le ministère justifie cette décision comme un moyen de « renforcer le lien entre les admissions à l’université et les programmes des écoles secondaires, et d’accroître l’équité et la responsabilité dans les opérations de sélection. »

Les récents changements apportés aux programmes scolaires des lycées sud-coréens ont en fait conduit à des résultats d’admission aux universités déséquilibrés et obscurs, et à une frustration croissante des étudiants, des parents et même de la direction d’établissements d’enseignement supérieur.

En Corée du Sud, les arts libéraux et les études scientifiques sont deux voies académiques différentes au lycée, les équivalents en quelques sortes aux filières littéraire ou scientifique en France. À la fin du lycée, les élèves passent le Test d’aptitude scolaire (CSAT), ou Suneung, l’équivalent du baccalauréat, dont les résultats sont primordiaux car il fait office d’examen de fin d’études secondaires et est utilisé comme examen d’entrée pour de nombreuses universités.

Le CSAT se déroule chaque année en novembre sur une seule journée et le pays tourne presque entièrement autour de ce examen ce jour-là.

Le CSAT comprend six examens autour de grandes catégories de matières qui changent régulièrement avec des modules obligatoires et facultatifs : les arts du langage (lecture, litterature, rédaction), les mathématiques, l’anglais, l’histoire de la Corée, les langues étrangères et problèmes, ce test évaluant les approches critiques des élèves pour résoudre des problèmes dans les domaines des sciences sociales, des sciences ou de l’enseignement professionnel.

Mais une réforme du CSAT en 2015 a supprimé la distinction entre les filières, de sorte que les étudiants en sciences ou en littéraire sont tous autorisés à choisir des matières à option destiné à une autre majeure. L’objectif de la réforme était de stimuler les « talents créatifs et convergents » et de ne pas limiter les étudiants à un parcours académique cloisonné.

Les étudiants sont désormais autorisés à s’inscrire aux départements d’arts libéraux d’une université, qui octroient des Bachelor of Arts, tout en ayant étudié les sciences au lycée et vice versa.

Mais les résultats du nouveau « CSAT intégré » mis en place lors des deux derniers examens ont montré que les élèves des filières scientifiques sont désormais favorisés par le test par rapport aux étudiants en arts libéraux.

Par conséquent, de nombreux lycéens en sciences ont postulé et ont été acceptés dans les départements de sciences humaines et sociales des meilleures universités du pays, alors que leurs résultats leur auraient permis d’intégrer des universités de rangs inférieurs s’ils avaient voulu s’inscrire dans des départements scientifiques.

En Corée du Sud, cette controverse est qualifiée « d’invasion des arts libéraux » (문과 침공) par les étudiants en sciences, car ils peuvent ainsi accéder plus facilement aux universités les plus prestigieuses.

Ainsi, de nombreux étudiants en arts libéraux n’ont pas la possibilité d’aller dans les universités qu’ils souhaitaient. Certains s’inscrivent dans une université mais ne suivent pas les cours et se préparent à repasser le CSAT l’année suivante, d’autres choisissent les épreuves scientifiques du CSAT dans l’espoir d’obtenir de meilleures notes que leurs camarades.

Cette situation observée ces deux dernières années a accru la frustration des étudiants, des parents mais aussi des responsables des établissements d’enseignement supérieur. Le taux d’abandon des lycéens de la filière scientifique qui s’inscrivent dans les départements d’arts libéraux des universités prestigieuses est élevé et bloque dans le même temps les opportunités d’autres étudiants, ce qui entraîne une perte de revenus pour les établissements

La semaine dernière, Lee Ju-ho, vice-premier ministre chargé des affaires sociales et ministre de l’éducation, a tenu une réunion avec les doyens de 12 universités de Séoul afin de discuter du problème des examens d’entrée.

Dans le processus d’évaluation des universités qui décide de la distribution des fonds publics mise en place depuis 2014, 10 points sur une échelle de 100 points, sont désormais attribués si les critères de sélection de l’université suivent le programme d’études secondaires tel qu’il a été réformé en 2015. Il faut également que davantage d’étudiants soient sélectionnés grâce aux résultats du CSAT.

En effet, les universités coréennes ont supprimé les matières obligatoires à passer au CSAT comme littérature lors des candidatures aux départements de sciences humaines et sociales. Mais de l’autre côté, elles ont maintenu certaines matières obligatoires, comme le calcul ou la géométrie, lorsque les étudiants postulent pour les départements de sciences naturelles et de médecine. La plupart du temps, les candidatures croisées ne sont possibles que dans un seul sens, ce qui favorise les élèves à dominante scientifique.

L’université de Sogang et l’université de Sungkyunkwan, deux des établissements d’enseignement supérieur les plus prestigieux de Corée du Sud, ont déclaré qu’elles allaient supprimer les matières obligatoires dans tous les départements. Avec une situation financière fragile pour de nombreuses universités coréennes, les sujets obligatoires comme critère d’admission pourraient bientôt disparaître.

Mais les critiques affirment que cela ne va pas résoudre un système de calcul biaisé du CSAT, qui est également considéré comme obscur et compliqué à comprendre.

Le score au CSAT dépend en effet également des résultats des autres élèves. Et les différences de notes sont plus importantes dans les matières scientifiques que littéraires, ce qui renforce l’avantage des sujets scientifiques. De plus, répondre correctement à toutes les questions en calcul ou en géométrie permettait d’obtenir des scores plus élevés qu’en probabilités et statistiques, qui sont toutes trois des matières facultatives dans le groupe des mathématiques. Et les étudiants en arts libéraux préfèrent choisir les probabilités et les statistiques plutôt que le calcul ou la géométrie.

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Clément Vérité

Clément est le rédacteur en chef et fondateur de Newsendip.

Il a démarré dans l'univers des médias en tant que correspondant à 16 ans pour un journal local après l'école et ne l'a jamais quitté depuis. Il a ensuite pu travailler pendant 7 ans au New York Times, notamment en tant que data analyst. Il est titulaire d'un Master en management en France et d'un Master of Arts au Royaume-Uni en stratégie marketing et communication internationale. Il a vécu en France, au Royaume-Uni et en Italie.