Certains responsables philippins envisagent la possibilité de décriminaliser la diffamation et l’avortement pour désengorger les prisons du pays.

Le procureur de la République des Philippines a demandé aux législateurs de décriminaliser la diffamation et l’avortement dans le cadre des efforts déployés par l’État pour désengorger les prisons.
« C’est l’une des solutions préconisées », a déclaré Jose Dominic F. Clavano IV, porte-parole du ministère de la justice, aux journalistes en marge d’un sommet sur le désengorgement des prisons organisé à Manille ce mercredi. « La diminution des admissions en prison, la réduction du tarif des cautions et l’augmentation de la capacité des prisons ont également été envisagées », a‑t-il ajouté.
M. Clavano a déclaré qu’il appartenait au Congrès de décider ce qu’il convenait de faire : « ce n’est pas à nous de décider. Nous leur laissons le soin de le faire, car ils ont une vision plus globale de la situation. »
Le président de la Chambre des représentants, Ferdinand Martin G. Romualdez, a déclaré au sommet que « le système de classification du code pénal, vieux de près d’un siècle, avait besoin d’être révisé ».
Sept des dix centres de détention philippins sont surpeuplés, avec un taux d’encombrement moyen de 386 %, selon le Conseil de coordination du secteur de la justice, qui regroupe le ministère de la justice, la Cour suprême et le ministère de l’intérieur et des collectivités locales.
L’augmentation du seuil de preuve pour les enquêtes préliminaires, la réduction de la caution et l’adoption d’un projet de loi pour la réhabilitation des délinquants toxicomanes sont des sujets qui ont également été mis sur la table lors du sommet. Parmi les mesures proposées figure également la création d’un département de l’administration pénitentiaire et de la pénologie qui unifiera les systèmes de gestion des établissements pénitentiaires, des prisons et de la probation de l’État.
« La Cour suprême envisage de réviser les règles de procédure pénale afin de garantir un traitement plus rapide des affaires », a déclaré le président de la Cour suprême, Alexander G. Gesmundo. « La surpopulation des prisonniers dans les centres de détention n’est ni humaine, ni réformatrice », a‑t-il ajouté.
Environ 350 000 suspects ont été arrêtés dans le cadre d’opérations de lutte contre les drogues illégales sous l’ancien président Rodrigo Duterte et 24 000 sous le président Ferdinand R. Marcos Jr.
Un traitement humain des prisonniers et des programmes de réhabilitation appropriés réduirait la récidive et encouragerait la bonne conduite dans les prisons, « leur donnant une chance de se réformer véritablement et de se réinsérer dans la société », a quant à lui déclaré le secrétaire d’État à l’intérieur, Benjamin C. Abalos, Jr.
Jusqu’à six ans d’emprisonnement pour un avortement
Il y a quelques semaines, Human Rights Watch avait publié un communiqué expliquant que « les menaces des membres du Congrès philippin de retirer ses financements à la commission nationale des droits de l’homme ont eu pour effet d’affaiblir son soutien aux droits à l’avortement ».
Les membres du Sénat et de la Chambre des représentants des Philippines ont déclaré, lors des délibérations sur le budget national en novembre, qu’ils chercheraient à supprimer le financement de la commission, qui est mandatée par la constitution de 1987. Un sénateur a déclaré que la commission devrait recevoir « zéro budget » à moins qu’elle ne démontre une « position forte » contre l’avortement.
Le 15 novembre, le président de la commission, Richard Palpal-latoc, est revenu sur la position de la commission en faveur du droit à l’avortement et a déclaré que la commission était « contre l’avortement, sauf dans des circonstances extrêmes ».
Depuis plus d’un siècle, l’avortement est une crime aux Philippines, sans aucune exception l’autorisant l’avortement, notamment pour sauver la vie de la femme enceinte ou pour protéger sa santé.
L’avortement a été criminalisé par le code pénal de 1870 sous la domination coloniale espagnole, et les dispositions pénales ont été incorporées dans le code pénal révisé adopté en 1930 sous l’occupation américaine des Philippines.
La criminalisation de l’avortement n’a pas empêché l’avortement, mais a au contraire rendu la procédure dangereuse et potentiellement mortelle pour plus d’un demi-million de femmes philippines qui tentent chaque année d’interrompre leur grossesse, selon le Centre pour les droits reproductifs. Pour la seule année 2008, il était estimé que l’interdiction de l’avortement aux Philippines avait entraîné la mort d’au moins 1 000 femmes et des complications pour 90 000 autres.
Les médecins et sage-femmes qui pratiquent des avortements risquent jusqu’à six ans de prison. Ces sanctions pénales sont complétées par des lois distinctes qui prévoient des sanctions pour toute une série de professions médicales et de travailleurs de la santé, tels que les pharmaciens qui délivrent des médicaments abortifs.
En vertu de ces lois, ces praticiens peuvent voir leur autorisation d’exercer suspendue ou révoquée s’ils sont pris en flagrant délit d’activités liées à l’avortement. Les femmes qui subissent un avortement, quelle qu’en soit la raison, sont passibles d’une peine de deux à six ans d’emprisonnement.
En ce qui concerne la diffamation, la peine d’emprisonnement actuellement imposée est de 6 mois et 1 jour et pouvant aller jusqu’à 4 ans et 2 mois.
La loi philippine sur la diffamation en ligne, adoptée en 2012, a été utilisée à plusieurs reprises contre des journalistes, des chroniqueurs, des critiques du gouvernement et de simples utilisateurs de réseaux sociaux.
Le bureau de la cybercriminalité du ministère de la justice avait indiqué en mai 2022 que 3 700 affaires de diffamation avaient été déposées en ligne.