En Indonésie, un dentiste arrêté pour avoir pratiqué des centaines d’avortements clandestins

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16 mai 2023

En Indonésie, l’avortement n’est autorisé que dans quelques cas spécifiques et des centaines de milliers de femmes décident d’avorter clandestinement.

Police de Bali
Conférence de presse de la police de Bali annonçant l’arrestation d’un dentiste qui aurait pratiqué des avortements illégaux | © Bali police

Un dentiste a été arrêté en Indonésie parce qu’il aurait pratiqué illégalement des avortements sur des femmes enceintes.

Le 15 mai, la police régionale de Bali a annoncé qu’elle avait arrêté un dentiste la semaine dernière après avoir été alerté de ses services. Une recherche en ligne a ensuite permis à la police de Bali spécialisée dans la cybercriminalité, de remonter jusqu’au suspect.

Lorsque la police a fait irruption dans le cabinet à 21h30, le médecin venait de pratiquer un avortement sur une femme venue avec son partenaire, selon le communiqué de la police. Une personne travaillait avec lui pour nettoyer le cabinet. Ces trois personnes ont été entendues comme témoins dans l’affaire. Les autorités ont saisi un carnet de suivi des patients, de l’argent, du matériel médical pour effectuer des avortements chirurgicaux et des médicaments post-avortement.

La police s’était auparavant renseignée auprès de l’Association médicale indonésienne, qui lui avait indiqué que le suspect n’était pas gynécologue mais dentiste. Il n’exerçait en fait pas comme dentiste.

Le médecin autodidacte a appris en ligne et dans des livres comment pratiquer un avortement pour des fœtus de quelques semaines.

Selon la police, le suspect a admis avoir fait avorter une vingtaine de patientes par jour depuis 2020, date à laquelle il a ouvert son cabinet. En moyenne, les patientes payaient 3,8 millions de rupiahs (232 euros) pour l’intervention, soit près d’un mois et demi du salaire minimum à Bali en 2023.

Il aurait déclaré aux autorités qu’il avait commencé à fournir ce service parce qu’il se sentait désolé pour les patientes qui venaient lui demander d’avorter qui étaient généralement de jeunes lycéennes et étudiantes, ou des femmes qui n’étaient pas encore mariées. Certaines patientes ne vivaient pas sur l’île de Bali mais y venaient pour se faire avorter.

Lors d’une conférence de presse, la police a déclaré qu’elle estimait qu’il avait fait avorter 1 338 personnes depuis qu’il avait commencé en 2006. L’homme de 53 ans encourt jusqu’à 10 ans de prison et une amende de 10 milliards de rupiahs (610 000 euros) pour divers chefs d’accusation, dont celui d’avoir pratiqué l’avortement sans licence.

L’avortement est courant en Indonésie

L’avortement est autorisé en Indonésie, mais seulement dans des conditions très spécifiques. Cela ne constitue pas un crime uniquement en cas de viol, de malformation grave du fœtus ou lorsque la grossesse menace la vie ou la santé de la femme. Il nécessite l’autorisation de professionnels de la santé, qui peut être difficile à obtenir, et ne peut être pratiqué uniquement suite à la demande de la femme. Un avortement nécessite aussi l’accord du partenaire.

Mais la loi indonésienne sur la santé stipule nettement comme principe de base que « toute personne est interdite droit d’avorter ».

Ces restrictions légales s’ajoutant aux stigmatisations de la société indonésienne autour de l’avortement, de nombreuses femmes cherchent à avorter clandestinement.

Les avortements, qui se faisaient traditionnellement par massage ou insertion de décoctions à base de plantes, sont fréquents en Indonésie et concernent des centaines de milliers de femmes chaque année, bien qu’il n’existe que très peu de statistiques claires sur le sujet.

Ces dernières années, quelques études ont estimé entre 25 et 40 le nombre d’avortements par an pour 1 000 femmes âgées de 15 à 49 ans dans un pays de 280 millions d’habitants.

Les avortements dits dangereux seraient à l’origine d’au moins 14 % des décès maternels, survenus pendant ou à la suite d’une grossesse, en Indonésie. Selon IPAS, une association qui promeut l’accès à l’avortement et à la contraception, les avortements pratiqués dans des conditions dangereuses pourraient représenter jusqu’à 30 % des décès maternels.

L’Indonésie affiche des taux de mortalité maternelle et néonatale parmi les plus élevés d’Asie du Sud-Est.

La 16ème économie mondiale, 132ème en le produit intérieur brut par habitant, souffre d’un accès inéquitable aux services de santé, en raison du manque d’infrastructures routières de qualité par exemple, en particulier pour les populations pauvres et isolées.

En 2020, l’Indonésie comptait 173 décès maternels pour 100 000 naissances vivantes, ce qui la plaçait au 134ème rang mondial. Toutefois, les estimations varient considérablement, le taux moyen de mortalité maternelle étant de 223 décès pour 100 000 naissances vivantes à l’échelle mondiale.

Un meilleur accès aux services de santé, des avortements sûrs, la planification familiale avec l’usage de contraceptifs pour éviter les grossesses non désirées sont quelques-uns des facteurs qui contribuent à réduire les décès maternels.

Plus d’informations sur les dangers des avortements clandestins

Le dentiste de Bali avait déjà été condamné à deux ans et demi de prison en 2006 pour un cas similaire, puis à six ans en 2009 parce qu’une de ses patientes était décédée à la suite des saignements dû à un avortement.

En février, le ministère de l’émancipation des femmes et de la protection de l’enfance s’est inquiété du nombre croissant d’avortements pratiqués dans des conditions dangereuses dans le pays, après qu’une femme est décédée des suites d’une hémorragie survenue lors de l’avortement d’un fœtus de neuf mois dans une chambre d’hôtel de la province de Sumatra Sud.

Pour « protéger les femmes », la vice-ministre Ratna Susianawati a déclaré qu’elle « continuerait à veiller à ce que chaque couche de la société reçoive une éducation, des informations et des connaissances sur la santé reproductive des femmes, en particulier sur les menaces que peuvent représenter les avortements illégaux ».

Mais informer sur les risques des avortements illégaux signifie aussi en creux qu’il n’est pas question de faciliter l’accès à l’avortement. « L’État indonésien a clairement réglementé et veille à ce que l’avortement soit interdit afin de protéger et de garantir le droit à la vie et à la survie de tout être humain, y compris les fœtus qui ne sont pas encore nés », a‑t-elle ajouté.

Selon l’Organisation mondiale de la santé, environ 73 millions d’avortements provoqués ont lieu chaque année dans le monde : six grossesses non désirées sur dix et 29 % de toutes les grossesses se terminent par un avortement provoqué.

Clément Vérité

Clément est le rédacteur en chef et fondateur de Newsendip.

Il a démarré dans l'univers des médias en tant que correspondant à 16 ans pour un journal local après l'école et ne l'a jamais quitté depuis. Il a ensuite pu travailler pendant 7 ans au New York Times, notamment en tant que data analyst. Il est titulaire d'un Master en management en France et d'un Master of Arts au Royaume-Uni en stratégie marketing et communication internationale. Il a vécu en France, au Royaume-Uni et en Italie.