Un « procès de la vérité » en Argentine, 98 ans après le massacre de Napalpí visant des populations indigènes

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24 avril 2022

L’Argentine a ouvert un procès près de 100 ans après le massacre de Napalpí, au cours duquel au moins 200 indigènes ont été tués en 45 minutes. Ce « procès de la vérité » est le premier sur les peuples autochtones victimes de persécutions dans le pays.

Rassemblement en soutien au "procès de la vérité" sur le massacre de Napalpí, perpétré il y a près de 100 ans en Argentine
Rassemblement en soutien au « procès de la vérité » sur le massacre de Napalpí, perpétré il y a près de 100 ans en Argentine.

En 1924, Napalpí, une petite ville rurale de la province du Chaco dans le nord de l’Argentine, fut le théâtre d’une tuerie visant des Amérindiens protestant contre leurs conditions de vie et de travail.

Près de 100 ans plus tard, l’Argentine a ouvert le 19 avril le « procès de la vérité » afin de déterminer les responsables ainsi que le rôle de l’État dans le « massacre de Napalpí » contre deux populations autochtones les Qom, également appelés Tobas, et les Mocovís. Il s’agit du premier procès qui porte sur les persécutions dont sont victimes les populations indigènes en Argentine.

« Nous démontrerons qui a participé et qui est responsable de ce génocide », a déclaré le procureur fédéral Federico Garniel lors de l’ouverture du procès à Resistencia, une ville du nord-est de l’Argentine.

Le Secrétariat des droits de l’homme de la province et l’Instituto de Aborigen Chaqueño sont tous deux plaignants dans cette affaire.

Aucun individu n’est poursuivi car aucun policier, propriétaire terrien ou politicien impliqués dans le massacre n’est en vie à ce jour. Le procès ne se prononcera pas sur les responsabilités pénales. Néanmoins, il permettra de reconnaître les survivants, les descendants des victimes et obtenir réparation.

« Le procès pour la vérité ne recherche pas de responsabilités criminelles. Il n’a pas de répercussions pénales. Vous ne trouverez pas d’accusés. Il s’agit d’exposer les faits, de connaître la vérité sur ce qui s’est passé (…) pour apaiser les blessures, pour les réparer. Mais il a aussi pour but de se remémorer et de faire prendre conscience collectivement que ces violations des droits humains ne doivent pas se répéter », a déclaré la juge Zunilda Niremperger.

Une seule survivante est encore en vie aujourd’hui. Rosa Grilo était une jeune fille lorsque le massacre a eu lieu. Sa date de naissance exacte est inconnue, mais elle a aujourd’hui bien plus de 100 ans, peut-être 114 ans. Elle a vu l’avion qui a largué des sacs et des bonbons et les personnes qui ont été abattues lorsqu’elles se sont rassemblées pour ramasser les objets sur le sol.

Le 19 juillet 1924, plus d’une centaine de policiers et de colons ont tiré sur des Tobas et des Mocovís. Cinq mille balles ont été tirées en 45 minutes. Filles, garçons, femmes et hommes de tous âges ont été assassinés, mutilés à la machette, et enterrés dans des fosses communes. Au total, on estime qu’au moins 200, et peut-être 400, personnes sont mortes ce jour-là. La répression s’est poursuivie pendant des semaines, avec la persécution des survivants qui ont fui les lieux.

Pendant près d’un siècle, les crimes commis par l’État argentin ont été passés sous silence. Mais grâce à la détermination des survivants du massacre et de leurs proches, le tribunal fédéral a fini par organiser le procès de la vérité. La version officielle était autrefois que les morts de Napalpí étaient le résultat d’affrontements entre les Qom et les Mocovís.

En 2019, un tribunal fédéral d’Argentine a déclaré que le massacre de Napalpí était un crime contre l’humanité, l’excluant donc de toute prescription des faits.

Pedro Solans, journaliste et auteur de Crímenes en sangre (Crimes de sang) publié en 2007 a interviewé une autre survivante, Melitona Enrique, aujourd’hui décédée. Son témoignage enregistré avant sa mort, ainsi que celui de Rosa Grilo, seront diffusés pendant l’audience du 26 avril.

Alors que l’industrie textile cherchait à diversifier ses approvisionnements en coton, les autorités ont voulu intégrer les communautés locales et les utiliser comme main-d’œuvre bon marché. À Napalpí, les groupes ethniques locaux récoltaient le coton en échange d’un salaire et d’un toit.

Mais les chefs des communautés Qom et Mocoví ont dénoncé une violation des accords de la part de l’administration et les relations se sont détériorées au point de s’apparenter à de l’esclavage. Les salaires n’étaient pas versés ou l’argent était remplacé par des objets. Les horaires de travail n’étaient pas respectés et les travailleurs n’étaient pas autorisés à se déplacer librement, confinés dans des camps, des reducciónes.

David García, de la Fondation Napalpí, a déclaré qu’il pensait que le procès aiderait la société argentine à avoir une meilleure connaissance du massacre et permettrait de faire prendre conscience de l’existence des peuples indigènes en Argentine. Il y a environ un million de personnes descendantes de populations indigènes dans ce pays de 45 millions d’habitants.

Horacio Pietragalla Corti, secrétaire aux droits de l’homme d’Argentine, a souligné que « ce procès va construire par la justice une vérité qui reste écrite, qui répare symboliquement les familles des victimes, la démocratie et les générations futures ».

D’autres audiences auront lieu en mai. Elles sont toutes accessibles au public et retransmises en direct sur YouTube.

Mise à jour 19 mai : La juge Zunilda Niremperger a déclaré l’État d’Argentine responsable du génocide. Elle a requis une reconnaissance publique officielle de sa responsabilité dans le massacre. Les écoles devront intégrer le massacre de Napalpí dans leurs programmes. Le procès devra être diffusé sur la télévision nationale. Le jugement a pressé le Congrès de définir une date de commémoration nationale, de mettre en place en plan de « réparations historiques » aux familles des victimes et de renforcer la protection des populations indigènes.

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Clément Vérité

Clément est le rédacteur en chef et fondateur de Newsendip.

Il a démarré dans l'univers des médias en tant que correspondant à 16 ans pour un journal local après l'école et ne l'a jamais quitté depuis. Il a ensuite pu travailler pendant 7 ans au New York Times, notamment en tant que data analyst. Il est titulaire d'un Master en management en France et d'un Master of Arts au Royaume-Uni en stratégie marketing et communication internationale. Il a vécu en France, au Royaume-Uni et en Italie.