Danone : Un PDG visionnaire battu par le réalisme financier

6 minutes de lecture
16 mars 2021

Le dimanche 14 mars 2021, le conseil d’administration de Danone a décidé qu’Emmanuel Faber quitterait ses fonctions de président et de directeur général avec effet immédiat. Sa vision stratégique était contestée par un groupe d’actionnaires.

Emmanuel Faber, 57 ans, président-directeur général de Danone, a été remplacé deux semaines seulement après que le conseil d’administration eut décidé à l’unanimité de séparer son poste en deux fonctions distinctes. Il était censé rester le président non exécutif jusqu’à ce qu’un nouveau directeur général soit trouvé. Mais cette situation n’a pas duré longtemps. Gilles Schnepp est devenu le nouveau président avec effet immédiat.

Ce week-end a été le dernier évènement d’une longue période d’agitation entre dirigeants de l’entreprise. La relation d’Emmanuel Faber avec Danone se termine par un divorce tumultueux sur fond de valeurs sociétales contre performances commerciales.

Emmanuel Faber lors de la cérémonie de remise des diplômes d'HEC en 2016
Emmanuel Faber lors de la cérémonie de remise des diplômes d’HEC en 2016

Un leader avant-gardiste

Danone est un leader de l’agroalimentaire présent sur plus de 120 marchés avec 100 000 salariés. M. Faber a rejoint l’organisation pour la première fois en 1997 et en est devenu le directeur général en 2014. Il a succédé à Franck Riboud, fils d’Antoine Riboud le cofondateur de BSN-Gervais Danone.

Emmanuel Faber était connu pour ses prises de position sur des enjeux environnementaux et sociétaux en tant que chef d’entreprise.

Il avait prononcé un discours peu conventionnel en 2016 lors d’une cérémonie de remise de diplômes à HEC. Dans la vidéo, qui compte plus de 1,7 million de vues sur YouTube, le chef d’entreprise a expliqué comment la schizophrénie de son frère, diagnostiquée alors qu’il était étudiant à HEC, a impacté sa perception de la vie.

Dans son intervention, il affirme qu”  »après toutes ces décennies de croissance, l’enjeu de l’économie, l’enjeu de la globalisation, c’est la justice sociale ». Et il dit, en anglais, aux aspirants chefs d’entreprise qu’il leur faudrait « vaincre 3 maladies : le pouvoir, l’argent et la gloire ».

Gilles Schneep, le nouveau président de Danone
Gilles Schneep, le nouveau président de Danone

Une mission face à une réalité économique difficile

Cet idéal glamour a semblé trouver un écho dans l’entreprise également.

En juin 2020, les actionnaires ont massivement approuvé que Danone devienne une « entreprise à mission ». Il s’agit d’un statut spécifique créé par une loi française en 2019, dans lequel l’entreprise ajoute des considérations sociales et environnementales à sa mission, qui consiste pour Danone à « apporter la santé par l’alimentation au plus grand nombre ».

Néanmoins, cette même année, Danone fait face à des performances économiques décevantes.

L’ancien PDG avait déclaré lors de l’assemblée générale annuelle des actionnaires que « le modèle pyramidal d’organisation des grandes entreprises internationales n’est pas un modèle d’entreprise vivante de demain ». Cela s’est avéré plus tard être un indice des changements managériaux qu’il souhaitait appliquer.

En octobre 2020, M. Faber a dévoilé un plan de restructuration visant à retrouver la croissance. Ce plan visait à économiser 1 milliard d’euros d’ici 2023, ce qui entraînerait à terme 2 000 suppressions de postes. Il a justifié la réorganisation Local First par le fait que « la rentabilité est fondamentale pour toute entreprise. Elle est la base de l’investissement de demain ».

Mais tout à coup, les paroles inspirantes du PDG ont semblé faire pâle figure devant la santé économique de l’entreprise. L’organisation a souffert pendant la pandémie de Covid-19.

Verre d'eau dans un restaurant
Le secteur de la restauration est un marché important pour l’eau en bouteille

Des fonds activistes inquiets de la rentabilité de l’entreprise

En 2020, le chiffre d’affaires a diminué de 6,6 % par rapport à 2019. Le résultat net récurrent s’est contracté de 2,62 milliards d’euros à 2,26 milliards d’euros.

L’activité eau, une verticale ne représentant que 15% du chiffre d’affaires de l’entreprise, a perdu 1 milliard d’euros en un an et a été responsable de plus de la moitié de la baisse du chiffre d’affaires de l’entreprise. La demande d’eau en bouteille a fortement chuté en raison des restrictions liées à la mobilité (avec les voyages par exemple) et aux loisirs (avec la restauration sur place par exemple).

La vente d’eau en bouteille est assez ironiquement très critiquée pour son impact négatif sur l’environnement, notamment pour son utilisation de plastique à usage unique. L’objectif de Danone est de se convertir aux bouteilles en rPET, du plastique recyclé. Ces bouteilles sont 15% plus chères à produire.

Et la rentabilité de Danone était la première source d’inquiétude pour certains investisseurs, ce qui a conduit à des remous récurrents au sommet de l’entreprise ces derniers mois.

La valeur de l’action de Danone a plongé en eaux profondes l’année dernière.

En septembre 2019, l’action Danone s’échangeait à 82 euros au CAC 40, le prix le plus élevé de son histoire. Pourtant, en octobre 2020, avant l’annonce du plan de réorganisation, l’action Danone était à 47 euros, son cours le plus bas depuis 2012. À l’époque, Emmanuel Faber n’avait pas pris la direction de l’entreprise.

Le capital de Danone est également très dilué entre différents actionnaires, ce qui peut rendre le pouvoir de l’entreprise accessible à de nouveaux entrants de poids ou spéculatifs. Les deux plus gros actionnaires connus, les Américains MFS Investment et Blackrock, détenaient respectivement 7,4 % et 5,7 % de l’entreprise en mars 2020. Bien que le siège de Danone soit basé en France, un tiers de l’entreprise est détenu par des investisseurs institutionnels américains, le plus grand marché de la société.

Le fonds Artisan Partners affirme avoir acheté 3 % des actions de l’entreprise pendant l’année. Cela le positionnerait directement comme le 3e actionnaire le plus important du groupe. Et il a rapidement fait part de ses doutes quant aux décisions des dirigeants et aux performances par rapport à leurs concurrents les plus proches, Nestlé et Unilever.

Plus intéressé par l’avenir de la planète que par le succès de l’entreprise ?

Le fonds d’investissement a publiquement critiqué les décisions d’Emmanuel Faber dans une lettre envoyée en février à Gilles Schnepp. M. Schnepp, ancien dirigeant des équipements électriques Legrand, était à l’époque membre indépendant du conseil d’administration après un jeu de chaises musicales stratégiques fin 2020.

« La performance financière de Danone n’est pas en accord avec la qualité de ses actifs. Sur presque tous les indicateurs, la performance de Danone est en retard. […] Nous applaudissons les mesures prises par l’entreprise pour devenir une activité plus durable sur le plan environnemental et plus socialement responsable. Mais alors que ses efforts à cet égard sont avant-gardistes, ceci se fait au détriment de Danone alors que l’on ne peut pas en dire autant pour sa gouvernance d’entreprise. »

Peu après, une autre société de gestion d’actifs a rejoint le mouvement.

Causeway Capital Management, qui détenait environ 0,2 % de Danone en décembre, attendait du conseil d’administration qu’il « veille sur les actionnaires minoritaires ». Un gestionnaire de portefeuille a déclaré à Bloomberg qu”  »un PDG unique, n’améliore pas, dans la plupart des cas, la gouvernance d’entreprise », faisant référence à une structure dirigeante peu adoptée aux États-Unis mais plus courante dans les entreprises françaises.

Artisan Partners a continué à faire pression sur le conseil d’administration pour un changement de direction, avec l’aide de Jan Bennink, ancien senior vice president de Danone et actuel directeur non exécutif de Coca-Cola European Partners.

Phistrust, une autre société d’investissement, a exprimé son scepticisme à l’égard d’Artisan Partners, l’un des seuls actionnaires à avoir voté contre le statut d’entreprise à mission, et des intentions véritables de M. Benning.

Emmanuel Faber lors d'une interview au Wall Street Journal
Emmanuel Faber lors d’une interview au Wall Street Journal | YouTube

Absence de connexion entre réalisme et idéalisme

BlueBell Capital, un fonds d’investissement activiste britannique, était également sur le front de la rébellion. L’organisation, qui a investi modestement dans l’entreprise fin 2020, a estimé que les performances de Danone étaient médiocres comparé à ses concurrents pendant le mandat d’Emmanuel Faber.

Francesco Trapani, le président du fonds et ami supposé de Franck Riboud, le président d’honneur de Danone qui se montrerait plus distant avec le successeur qu’il avait choisi, a demandé publiquement le remplacement d’Emmanuel Faber. Dans une interview au Monde, M. Trapani a positionné M. Schnepp comme un meilleur profil pour le rôle de président. Artisan Partners a également soutenu cette recommandation. Et M. Schnepp a en effet été nommé président avec effet immédiat 15 jours plus tard.

Dans une interview au Wall Street Journal en 2016, à la question « quel est le trait de caractère pour lequel un personne ne serait pas embauchée ? », Emmanuel Faber a répondu le « manque de connexion entre réalisme et idéalisme ». C’est semble-t-il ce qui lui a fait perdre son poste.

Découvrez plus d’actualités sur la France

Sources autres liens utiles :

Clément Vérité

Clément est le rédacteur en chef et fondateur de Newsendip.

Il a démarré dans l'univers des médias en tant que correspondant à 16 ans pour un journal local après l'école et ne l'a jamais quitté depuis. Il a ensuite pu travailler pendant 7 ans au New York Times, notamment en tant que data analyst. Il est titulaire d'un Master en management en France et d'un Master of Arts au Royaume-Uni en stratégie marketing et communication internationale. Il a vécu en France, au Royaume-Uni et en Italie.