Alors que le gouvernement polonais adopte des positions résolument anti-migratoires, le ministère des affaires étrangères est plongé dans un « scandale des visas » avec des allégations de corruption pour octroyer l’accès à l’espace Schengen. Le scandale prend de l’ampleur alors que les élections législatives auront lieu dans un mois.

Le 31 août, le Premier ministre Mateusz Morawiecki a démis Piotr Wawrzyk de ses fonctions de secrétaire d’État au ministère des affaires étrangères, expliquant laconiquement cette décision par un « manque de coopération satisfaisante ».
M. Wawrzyk était responsable des affaires consulaires, qui comprennent le système de délivrance des visas, et était l’auteur d’un projet visant à faciliter l’obtention de visas pour les travailleurs temporaires – pour les exploitations agricoles polonaises par exemple – originaires d’une vingtaine de pays. Ce règlement prévoyait la possibilité d’employer jusqu’à 400 000 travailleurs étrangers en Pologne.
Cependant, le Bureau central de lutte contre la corruption s’était rendu au ministère quelques heures avant la fin de ses fonctions, a en premier rapporté le journal Gazeta Wyborcza. Le bureau du procureur et le Bureau central anticorruption enquêtent actuellement sur des irrégularités dans les demandes de visa.
L’ampleur réel de ce que les médias polonais appellent le « scandale des visas » reste encore indéterminé, allant de centaines d’irrégularités pour les chiffres les plus conservateurs à des centaines de milliers de visas délivrés de manière suspecte selon l’opposition gouvernementale.
Au fur et à mesure que les informations sont divulguées, les médias font état d’un système d’intermédiaires privés douteux, de dysfonctionnements dans les procédures, de systèmes informatiques défectueux, de pressions et de décisions étranges concernant l’octroi de visas qui donnent le droit d’entrer dans l’espace Schengen.
Selon le site d’information polonais Onet, Piotr Wawrzyk n’hésitait pas à s’impliquer directement dans le processus d’attribution des visas. Les consuls de plusieurs villes d’Asie, d’Afrique et du Moyen-Orient ont reçu de M. Wawrzyk et de ses équipes des listes de personnes qui devaient se voir accorder l’accès au territoire polonais.
La Pologne, une « plaque tournante de l’immigration »
Par exemple, l’année dernière, la section consulaire de l’ambassade de Pologne à New Delhi et le consulat général de Mumbai, en Inde, ont reçu des listes d’équipes de tournage qui devaient urgemment obtenir des visas. Des scènes des films indiens Asati et Milton In Malta ont été tournées en Pologne.
Mais des personnes figurant sur les listes n’étaient en fait pas du tout liées à l’industrie cinématographique. Il s’agissait plutôt d’Indiens qui avaient payé entre 25 000 et 40 000 zlotys (5 700 et 9 200 dollars) pour se rendre aux États-Unis via la Pologne.
Les consulats auraient été poussés à leur accorder des visas. Ainsi, grâce à la Pologne, ils pouvaient obtenir des visas pour l’espace Schengen à usage multiple ce qui leur permettaient ensuite de se rendre au Mexique, puis de franchir illégalement la frontière avec les États-Unis. La division d’enquêtes criminelles étrangères du département d’État des États-Unis aurait ensuite alerté les diplomates polonais sur une nouvelle filière d’immigration clandestine.
Pour Droit et Justice (PiS), le parti populiste national-conservateur au pouvoir qui place la sécurité, la souveraineté nationale et les politiques anti-migratoires au premier plan, un scandale de corruption et d’irrégularités dans l’octroi de visas en masse fait mauvais genre à quelques semaines d’une échéance électorale.
D’autant plus que, parallèlement aux élections législatives du 15 octobre, le gouvernement a mis en place un référendum qui posera quatre questions, dont celle-ci : « Êtes-vous favorable à l’accueil de milliers d’immigrés clandestins du Moyen-Orient et d’Afrique, conformément au mécanisme de relocalisation forcée imposé par la bureaucratie européenne ? »
Pour Piotr Zgorzelski, député du Parti paysan polonais, la Pologne est perçue avec ce scandale « comme une république bananière qui est devenue une plaque tournante de l’immigration ».
Les députés Michał Siczerba et Dariusz Joński, deux membres de la Coalition civique, un parti politique de centre-droit dans l’opposition, mènent une enquête parlementaire et affirment détenir des documents montrant que le ministre des Affaires étrangères, Zbigniew Rau, était au courant de ces irrégularités.
Hier, Gazeta Wyborcza a rapporté que le ministère avait reçu des alertes sur la corruption et le commerce à grande échelle de visas polonais dès 2016, avec un rapport provenant du consulat d’Abuja, au Nigéria. La Pologne y serait considérée comme un point d’entrée dans l’espace Schengen plus facile que d’autres pays.
Piotr Wawrzyk et le ministère des affaires étrangères sont restés silencieux sur les accusations.