En Indonésie, des habitants bientôt délogés manifestent contre la construction d’une « cité écologique »

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15 septembre 2023

Face à la décision du gouvernement indonésien de construire une « Eco-city », financé en partie par la Chine, sur les terres des habitants de l’île de Rempang, sa population se rebelle et conteste le projet.

Visite de l'Indonésie à Xinyi pour le projet Eco-city
Le ministre des investissements, Bahlil Lahaladia (centre), lors d’un visite dans les locaux de Xinyi au sujet du projet Eco-city | © Ministère indonésien de l’industrie

Des manifestations ont éclaté en Indonésie depuis le début de la semaine contre le déplacement forcé de 7 500 résidents de la région de Rempang. Un projet chinois de construction d’un complexe industriel appelé « Eco-city », soutenu par le gouvernement indonésien, sera entrepris sur les terres natales des familles déplacées.

Les populations indonésiennes affectées par la construction de cet Eco-city, véritable complexe industriel dans les énergies renouvelables mais aussi lieu de tourisme luxueux, ont jusqu’à la fin du mois de septembre pour quitter leur domicile. Il seront alors transférés sur une île voisine, l’île de Gatang.

Cependant, cette relocalisation impacterait fortement l’écosystème économique régional. Les habitants de Rempang, petite île située à 60 kilomètres au sud de Singapour, vivent de la pêche. Toutefois la décision prise par les autorités a été de les déplacer à 60 km des côtes.

Contre cette décision, les habitants des quatre villages touchés ont commencé à manifester pacifiquement contre l’implantation du complexe chinois. Puis un millier de manifestants s’est retrouvé devant le bâtiment du BP Batam, l’autorité de développement de la région, et ont jeté des pierres et des bouteilles sur les bureaux.

Une seconde vague de manifestants s’est jointe aux hostilités, principalement des défenseurs de la culture malaise revendiquant le fait qu’ils vivent sur ces terres depuis presque deux siècles et cela bien avant la création de l’Etat indonésien comme l’explique Raja Zainudin, figure de la défense de la culture malaise de la région, interviewé par Al Jazeera.

Progressivement, les forces de l’ordre indonésiennes ont riposté en utilisant des jets d’eau et des gaz lacrymogènes sur les manifestants. Les projections de gaz lacrymogènes ont atteint des écoles et certains élèves ont dû évacuer pour l’hôpital le plus proche. La police se défend en affirmant que c’était à cause de la direction du vent et que les attaques n’étaient pas ciblées, ce qui inquiète notamment Amnesty International Indonesia.

Selon les derniers chiffres donnés par la police indonésienne, 43 manifestants ont été arrêtés par les forces de l’ordre.

Un projet né d’une amitié sino-indonésienne

Le projet de Rempang Eco-city est une entreprise d’ampleur, à la fois un complexe industriel mais aussi un lieu de tourisme de luxe. Ce projet nécessite énormément de fonds, près de 11,6 milliards de dollars et faute d’investissements publics suffisants, l’Indonésie se tourne vers des investissements chinois pour pallier ses manques.

Cette nouvelle ville accueillera des usines de Xinyi, une entreprise chinoise leader dans la production et la fabrication de panneaux solaires.

Le fait d’installer une usine, nécessitant des matières premières comme du quartz dans un tel endroit qui se revendique comme une cité écologiquement responsable parait paradoxal. C’est ce que témoigne Ferry Widodo, du Forum indonésien sur l’environnement, dans un entretien avec le média indonésien VOI. Il affirme que l’exposition et l’extraction de quartz seraient une menace pour l’environnement.

Dans un entretien au Jakarta Post en juillet 2023, le ministre des investissements indonésien, Bahlil Lahadalia, a annoncé que ce projet créerait 35 000 emplois et leur rapporterait plus de 26 milliards de dollars d’ici 2080 et cela malgré le mécontentement des populations locales.

Bien que cet événement puisse paraître isolé, il s’inscrit dans une tendance plus large des entreprises chinoises à s’implanter chez ses voisins. En Indonésie, les investissements directs étrangers provenant de Chine ont presque été multipliés par 5 (de 4 milliards de dollars en 2010 à 18,9 milliards de dollars en 2018). Et d’autres groupes industriels chinois s’installent en Indonésie comme Tsingshan pour s’approvisionner en matières premières, notamment en acier et nickel.

La coopération sino-indonésienne s’est accélérée depuis le sommet du G20 à Bali en 2022 et plus récemment lors d’un sommet bilatéral entre le président indonésien Joko Widodo et le président chinois Xi Jinping survenu en juillet dernier.

Les deux chefs d’État ont affirmé leur amitié et ont convenu d’un certain nombre de projets économiques et politiques communs comme une meilleure inclusion dans les nouvelles routes de la soie (véritable courroie économique reliant l’Europe à l’Asie de l’Est) et des investissements chinois plus conséquents dans les projets indonésiens publics et privés.

L’exemple de l’Indonésie n’est pas le seul, d’autres pays comme le Sri Lanka témoignent d’une interdépendance qui peut s’avérer réellement néfaste au point de s’enliser gravement dans des dettes. On peut citer le cas du port de Hambantota au Sri Lanka dont l’État, ne pouvant plus rembourser les dettes causés par la construction de l’édifice, a dû laisser les droits d’exploitation aux Chinois pour 99 ans, n’ayant plus d’influence sur leur propre territoire.

C’est aussi une crainte partagée par les Indonésiens. Une étude entreprise par le Centre d’Études Stratégiques et internationales de Jakarta souligne la méfiance vis-à-vis des vraies intentions chinoises et de l’inquiétude des Indonésiens par rapport à une potentielle privation de leurs terres.

D’autres voix s’élèvent contre le projet d’Eco-city comme le témoigne Usman Hamid d’Amnesty International Indonesia, interviewé par le média australien ABC News, qui se montre très pessimiste quant à l’avenir du projet. Il prend l’exemple d’une installation minière gouvernementale dans le village de Wada dans la province de Java où le projet a été implanté de force sans consultation des habitants.

Des tensions sont donc notables entre des populations qui souhaitent préserver l’héritage culturel et les terres que leurs ancêtres leur ont léguées et un pouvoir politique fermement attaché au développement économique du pays.

Paul Raymond

Paul est rédacteur pour Newsendip.

Il a étudié les sciences politiques et les relations internationales à l'European School of Politics, Il adore la culture japonaise.