L’huile en Indonésie : entre pénuries, flambée des prix et une supposée mafia

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21 mars 2022

L’Indonésie tente de réguler son marché d’huile de cuisine ce qui amène des variations de prix et de soudaines pénuries. Le ministre du commerce prétend qu’une « mafia de l’huile » est coupable de spéculation.

Muhammad Lutfi, ministre indonésien du commerce, dans un supermarché de Jakarta le 18 mars 2022
Muhammad Lutfi, ministre indonésien du commerce, dans un supermarché de Jakarta le 18 mars 2022 | © Relations publiques du ministère du commerce de l’Indonésie

Le government indonésien fait face à des difficultés de maîtriser le marché de l’huile suite à une augmentation des prix de plus de 40% depuis le début 2022 avec une augmentation mondiale des prix.

Le 18 mars dernier, le ministre du commerce indonésien Muhammad Lutfi se rend dans des magasins de Jakarta pour constater que les bouteilles standard et de marque d’huile de cuisine remplissent les étals. Mais il s’avère malgré tout surpris de cette soudaine disponibilité. « Je suis également confus sur où tout cela vient-il. Tout d’un coup, tout est apparu. » commentait le ministre pendant une discussion avec des femmes selon Tribun News.

Deux jours auparavant, le gouvernement a en effet supprimé son système de plafond de prix, le Prix Final Maximum, concernant les huiles de marques et condtionnées.

Contrôler les prix a augmenté la pénurie d’huile

Depuis mi-janvier, le governement indonésien a établi un tarif maximum sur les huiles de cuisine pour tenter de diminuer les augmentations de prix dans les commerces du pays. Mais pour juguler la hausse des prix, les autorités indonésiennes ont modifié leur stratégie à de nombreuses reprises.

Elles ont tout d’abord limité le prix maximum de l’huile conditionnée à 14,000 rupiah (US$1) le litre dans les supermarchés mais pas dans les commerces de proximité. À partir du 1er février, le Prix Final Maximum, pour l’huile en vrac était établi à 11,500 rupiah le litre, l’huile conditionnée simple à Rp13,500/litre, et l’huile de marque à Rp14,000/litre pour tous les commerces du pays.

L’huile en vrac est vendue dans les marchés traditionnels ou les commerces de proximité dans des sacs en plastique sans aucune marque ou packaging. C’est le produit le plus abordable et le premier choix pour la population indonésienne. L’huile conditionnée est vendue en bouteilles ou dans des contenants plus solides et est plus haut de gamme.

De plus, l’Indonésie a restreint les exportations fin janvier pour améliorer son approvisionnement sur le territoire. Le 9 mars, elle a ensuite augmenté cette exigence, via l’Obligation du Marché National, en passant de 20% à 30% de la production d’huile brute destinée à la consommation locale.

Mais à mesure que le gouvernement essayé d’augmenter l’offre sur le territoire en huile, les rayons se vidaient. Par ailleurs, l’huile pouvait être vendue à des prix plus élevés que la réglementation, tandis que des magasins manquaient d’huile végétale malgré le rationnement des ventes.

En essayant de limiter l’inflation, le gouvernement semble avoir en fait empiré la situation. Il a reconnu que sa mécanique de contrôle des prix a augmenté les pénuries.

De nombreux changements dans sa politique de régulation

Par conséquence, en plus de supprimer les prix plafonds sur les huiles premium le 16 mars, le gouvernment a également supprimé les restrictions sur les volumes d’exportation. Il a choisi de doubler ses taxes à l’export à la place.

Lundi dernier, l’Assocation Indonésienne de l’Industrie d’Huile Végétale (GIMNI) avait demandé que les 30% de préférence nationale soit annulés car le secteur craignait que les limites d’exportations endommage les relations avec ses clients et qu’il ne tourne vers d’autres pays comme la Malaisie. L’Indonésie est le premier producteur et exportateur d’huile de palme.

Mais alors que l’huile est soudainement devenue abondante dans les commerces indonésiens la semaine dernière, son prix a bondi.

Pendant le weekend, le prix au détail de l’huile de cuisine a augmenté entre 7% et 9% à l’échelle nationale selon le National Strategic Food Price Information. L’huile en vrac était vendue au prix de Rp18,950 en moyenne le 21 mars.

Le ministre de l’Industrie fixa le 21 mars le nouveau prix plafond sur l’huile végétale vendue en vrac. Il a été mis à Rp14,000 le litre, le prix qui était précédemment celui fixé pour les huiles les plus premium.

Il a aussi ordonné à tous les producteurs de fournir de l’huile en vrac au marché national pour les ménages et les petites entreprises afin d’assurer sa disponibilité et la statbilité du prix.« L’huile de cuisine est un bien industriel stratégique qui concerne la vie de nombreuses personnes et sa disponibilité à une rôle important au niveau social et économique, » le ministère a déclaré.

Au total, 81 entreprises doivent fournir 14,000 tonnes d’huile en vrac par jour. Afin de recevoir des subventions pour limiter l’impact du prix plafond, les entreprises ne peuvent exporter l’huile en vrac, ni la reconditionner ou la vendre à des moyennes ou grandes entreprises

Une « mafia de l’huile » selon le ministre du Commerce

À la vue du chaos dans la chaîne de livraison de l’huile, le ministre du Commerce a accusé jeudi qu’une prétendue « mafia de l’huile » profitait du système. Quand l’offre augmentait, les étals restaient désepérement vides. Lufti affirme que des fraudeurs utiliserait l’huile en vrac subventionnée pour la reconnditionner dans des produits de marque ou qu’ils la revendrait sur le marché noir, notamment à l’étranger. Le ministre s’est excusé pour ne pas être capable de contrôler cette mafia.

Certaines entreprises comme les distributeurs auraient stocké l’huile en attendant que les prix plafonds disparaissent. Selon la Commission de la concurrence d’Indonésie, seulement 4 groupes industriels contrôlent preque la moitié des champs de palmier à huile et la production de l’huile, ce que leur permettrait de dicter les lois du marché.

Le ministre a donné des noms de suspets à la commission qui a jusqu’à présent intérrogé 20 personnes.

Mais pour Rachmat Gobel, ancien ministre du commerce, affilié à la coalition au pouvoir et vice-président du conseil représentatif du peuple il n’existe pas de mafia de l’huile. Mais uniquement de mauvaises politiques ont été mises places. « Nous avons commis un erreur dans la mise en place des politiques. C’est tout. Ce sont des entrepreneurs qui cherchent à gagner de l’argent. Il ont repéré une faille réglementaire mais nous ne devrions pas immédiatement les qualifier de mafia, » il défendait lundi.

L’huile de cuisine a été mise sous le feux des projecteurs avec la guerre en Ukraine étant donné que c’est le premier exportateur d’huile de tournesol, et que de nombreux pays s’inquiètent de leur sécurité alimentaire.

Pour le gouvernement d’Indonésie, s’assurer et surveiller la stabilité des prix et les stocks de nourriture est devenu d’autant plus important que le mois de Ramadan commence en avril.

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Clément Vérité

Clément est le rédacteur en chef et fondateur de Newsendip.

Il a démarré dans l'univers des médias en tant que correspondant à 16 ans pour un journal local après l'école et ne l'a jamais quitté depuis. Il a ensuite pu travailler pendant 7 ans au New York Times, notamment en tant que data analyst. Il est titulaire d'un Master en management en France et d'un Master of Arts au Royaume-Uni en stratégie marketing et communication internationale. Il a vécu en France, au Royaume-Uni et en Italie.