L’Australie veut rendre les réseaux sociaux potentiellement responsables des contenus publiés

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6 décembre 2021

Le Premier ministre australien a annoncé que le gouvernement souhaitait que les réseaux sociaux révèlent l’identité des utilisateurs malveillants et les rendent responsables du contenu publié si elles ne le font pas. Mais la mise en œuvre de la loi ne s’annonce pas de tout repos.

Scott Morrison, Premier ministre australien
« Je veux m’assurer que les Australiens sont en sécurité sur Internet », a déclaré Scott Morrison, Premier ministre australien, lors d’une conférence de presse sur une nouvelle loi visant à rendre Facebook, Twitter et autres réseaux sociaux responsables des commentaires publiés sur leurs plateformes | © Tous droits réservés, Novembre 2021

Le 28 novembre, le Premier ministre Scott Morrison a annoncé qu’une nouvelle loi serait élaborée pour lutter contre le trolling sur les réseaux sociaux.

Le texte est censé être rédigé et présenté au parlement en début d’année prochaine. Mais si la rédaction et la mise en œuvre d’une loi sur la responsabilité des contenus publiés en ligne peut sembler relever du bon sens, elle ne sera pas sans difficultés.

L’objectif est de faire en sorte que les entreprises de réseaux sociaux comme Facebook et Twitter soient considérées comme des éditeurs si elles ne peuvent pas identifier les auteurs de contenus diffamatoires ou les trolls, ces utilisateurs qui pourrissent les discussions de commentaires intempestifs. Les sociétés pourraient être légalement responsables du contenu publié sur leurs plateformes.

La nouvelle loi permettrait aux tribunaux d’obliger les sociétés de médias à divulguer l’identité des utilisateurs, ce qui permettrait ensuite de porter devant les tribunaux des affaires de diffamation.

Par ailleurs, Scott Morrison estime que « les plateformes numériques doivent disposer de processus appropriés pour permettre le retrait » des contenus diffamatoires.

Mais Facebook pourrait faire valoir qu’un processus existe déjà. Au Vietnam, Facebook a même fermé un réseau qui utilisait à mauvais escient la procédure en signalant de manière massives du contenu ou des profils à supprimer.

De plus, les détails concernant les utilisateurs peuvent ne pas être corrects lorsque les personnes peuvent s’inscrire avec l’aide d’un simple email ou changer leur adresse IP grâce aux réseaux privés virtuels (VPN), et apparaître en dehors de l’Australie.

Ensuite, les utilisateurs pourraient se méfier pour donner des informations personnelles puisque les données des utilisateurs sont la base du modèle économique de Facebook. Et ils sont d’autant plus susceptibles de donner des informations fausses lorsqu’ils ont l’intention de troller quelqu’un.

Une loi indienne contestée au nom du droit à la vie privée

Et puis, il y a aussi le droit à la vie privée, que défendent des entreprises comme Snapchat et plusieurs applications de messagerie. Une loi exigeant l’identification possible des utilisateurs à tout moment obligerait les entreprises à stocker des données personnelles.

En Inde, Twitter ou Facebook peuvent être considérés comme des éditeurs et perdre leur rôle de plateformes intermédiaires s’ils ne respectent pas une loi fédérale adoptée en mai dernier. Dans un pays qui bloque activement l’accès à Internet pour des motifs politiques, cette loi oblige les plateformes à retirer les contenus à la demande des autorités dans un délai de 36 heures et à identifier la première personne responsable de la publication d’un contenu viral.

Mais WhatsApp, une société appartenant à Meta la maison-mère de Facebook, a intenté une action en justice contre le gouvernement devant la Haute Cour de Delhi pour violation du droit à la vie privée. La société fait valoir qu’une telle demande obligerait l’application de messagerie à stocker toutes les données personnelles et l’historique des messages de tous ses utilisateurs au cas où il y aurait une demande.

Le Premier ministre australien a déclaré qu’il serait prêt à attaquer les réseaux sociaux devant les tribunaux si ils refusaient de communiquer des données personnelles.

Une réponse à une décision de la Haute Cour australienne

Par ailleurs, en faisant peser la responsabilité des contenus sur les plateformes, la nouvelle loi devrait aller à l’encontre d’une récente décision de justice en Australie.

La procureure générale Michaelia Cash estime que « les réformes garantiront également que les Australiens de tous les jours et les entreprises australiennes disposant d’une page sur les réseaux sociaux ne sont pas juridiquement considérés comme des éditeurs et ne peuvent être tenus pour responsables des commentaires diffamatoires publiés sur leur page, leur offrant ainsi une certaine sécurité ».

Cette déclaration indiquait clairement qu’il s’agissait d’une réponse au jugement de la Haute Cour australienne concernant l’affaire Voller.

Dylan Voller est un ancien jeune détenu dont l’incarcération fut relayée dans une émission de télévision. Il a intenté pour diffamation contre Fairfax Media, Nationwide News et Sky News, affirmant que les entreprises auraient dû savoir qu’il existait un risque de commentaires diffamatoires sur les articles publiés en ligne à son sujet.

En septembre, la Haute Cour a statué que les médias d’information étaient responsables des commentaires des tiers sur leurs pages Facebook. Elle a confirmé la décision de la Cour d’appel de Nouvelle-Galles du Sud en juin dernier.

Supprimer la responsabilité des propriétaires de pages pour les commentaires sur les publications Facebook

À l’heure actuelle, si un média publie un article d’actualité sur sa page, l’entreprise est considérée comme responsable des commentaires formulés par des utilisateurs tiers sur la publication. Il en va de même pour un particulier qui gère une page Facebook.

Après la décision de la Haute Cour, CNN a décidé de supprimer l’accès des utilisateurs australiens à sa page Facebook en raison des risques de poursuites pour diffamation.

L’Australie s’efforce activement de réglementer les activités en ligne. L’année dernière, une nouvelle loi a obligé Facebook et Google à payer les éditeurs de presse pour l’utilisation de leur contenu dans les fils d’actualité et les résultats de recherche. En février, Facebook a interdit pendant quelques jours le partage d’actualités sur sa plateforme en Australie, avant de se rétracter.

En juillet, Christian Porter, alors ministre de l’industrie, des sciences et de la technologie, a souhaité que les réseaux sociaux demandent l’autorisation des parents avant que les enfants puissent ouvrir un compte. Mais il a également admis qu’une telle loi serait difficile à rédiger et à mettre en œuvre, espérant que Facebook accepte la mesure sans avoir besoin d’une législation.

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Clément Vérité

Clément est le rédacteur en chef et fondateur de Newsendip.

Il a démarré dans l'univers des médias en tant que correspondant à 16 ans pour un journal local après l'école et ne l'a jamais quitté depuis. Il a ensuite pu travailler pendant 7 ans au New York Times, notamment en tant que data analyst. Il est titulaire d'un Master en management en France et d'un Master of Arts au Royaume-Uni en stratégie marketing et communication internationale. Il a vécu en France, au Royaume-Uni et en Italie.