Les mystères de la Hongrie autour de l’achat de respirateurs artificiels pendant la pandémie de Covid-19

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23 mai 2023

La Hongrie a acheté des milliers de respirateurs artificiels pendant la pandémie de Covid-19 qui se sont avérés être inutiles. Mais les documents autour d’un contrat signé avec une société malaisienne auraient déjà été détruits par les autorités.

Péter Szijjártó
Péter Szijjártó, ministre des affaires étrangères et du commerce extérieur. Le ministère a déclaré à Transparency International qu’il ne pouvait pas partager les documents relatifs à l’achat de respirateurs artificiels parce qu’ils avaient déjà été détruits. | Facebook

En mars 2020, le gouvernement hongrois avait dépensé 300 milliards de forints (850 millions d’euros) pour l’achat de 16 000 respirateurs artificiels afin de lutter contre la pandémie de COVID-19. Le scénario le plus pessimiste prévoyait que le pays aurait besoin de 8 000 respirateurs, mais les autorités voulaient s’assurer de disposer d’au moins 10 000 machines.

Les respirateurs se sont révélés inutiles. La plupart de ces respirateurs fabriqués en Chine ne répondaient pas aux normes de fabrication hongroises et de l’Union européenne. De plus, la Hongrie, qui disposait de 2 000 respirateurs avant le début de la pandémie, n’avait pas assez de spécialistes pour les utiliser en même temps. Certains n’étaient pas non plus adaptés aux symptômes du Covid-19.

Le principal fournisseur de ces machines est une société malaisienne, GR Technologies, qui a vendu près de 6 300 respirateurs à la Hongrie à un prix élevé, pour 176 milliards de forints (500 millions d’euros). Elle a remporté le contrat sans répondre à un appel d’offres, autorisé dans le cadre de l’état d’urgence du pays pour lutter contre la pandémie de Covid-19.

Or, le propriétaire de la société, Datuk Vinod Shekar, est un homme d’affaires malaisien déjà poursuivi dans son pays d’origine pour des soupçons de blanchiment d’argent, selon Transparency International.

Soupçonnant une utilisation irrégulière des fonds publics, l’organisation de lutte contre la corruption a donc demandé au ministère des affaires étrangères et du commerce extérieur l’accès aux données relatives à l’achat. Les autorités ayant refusé, Transparency International a intenté une action en justice pour obtenir davantage d’informations sur la procédure d’octroi de ce marché public.

En octobre 2022, Transparency International a gagné un appel obligeant les autorités à partages les certificats d’examen de transparence de l’entreprise malaisienne, conformément à la loi hongroise adoptée par le parti au pouvoir qui stipule que les marchés publics ne sont attribués qu’après vérification de l’identité des propriétaires des entreprises fournissant l’État hongrois.

Les documents relatifs à l’accord auraient déjà été détruits

Le ministère devait également fournir des informations sur la manière dont l’entreprise a été sélectionnée, qui a signé et approuvé le contrat ainsi que les détails des paiements. Selon Transparency International, le ministère a payé des organisations basées à Hong Kong et à Singapour qui n’étaient pas contractuellement impliquées dans l’achat.

Mais le ministère a fait valoir que les modifications apportées à la loi sur les finances publiques pendant l’état d’urgence ont raccourci le processus d’octroi des marchés public en rendant transparentes toutes les entreprises impliquées dans l’achat de matériel médical d’urgence. La Kúria, la Cour suprême de Hongrie, a statué en faveur des explications du ministère.

Les autorités ont également justifié que les négociations avaient été uniquement conduites à l’oral et qu’il n’y avait pas de trace écrite, d’e-mail ou même de note sur l’accord autour du contrat.

Par conséquent, le ministère a envoyé un message à Transparency International pour l’informer qu’il ne pouvait pas partager de documents avec l’organisation parce que toute trace écrite concernant l’accord avait déjà été détruite en novembre 2021, 20 mois seulement après sa signature, a rapporté le journal Népszava.

Selon ce média proche du Parti socialiste hongrois, 2,8 milliards de forints (8 millions d’euros) ont également été transférés directement sur le compte bancaire personnel de M. Vinod Shekar.

Miklós Ligeti, directeur juridique de Transparency International Hongrie, a déclaré à Népszava qu’il trouvait « suspect » que le ministère ait détruit tous les documents relatifs à l’achat, et « inconcevable » qu’il ait réussi à faire valoir devant le tribunal qu’il n’y avait pas un seule trace écrite mentionnant l’utilisation de 176 milliards de forints d’argent public. L’association anti-corruption souligne qu’en Hongrie, une personne doit conserver une facture pendant cinq ans et que les documents officiels sont détruits selon des procédures strictes.

Transparency International soupçonne le gouvernement d’essayer de contourner la décision de justice pour éviter de partager les données ou parce que l’enquête sur la transparence de l’entreprise n’a tout simplement pas été menée.

La Hongrie est le pays le plus mal classé d’Europe dans l’indice de perception de la corruption de Transparency International.

Pendant l’état d’urgence, plusieurs entreprises impliquées dans l’achat de matériel médical pour lutter contre la pandémie se sont révélés être étroitement liées à des officiels du gouvernement.

Le site d’information économique hongrois Menedzsment Fórum a par exemple rapporté en décembre que Fourcardinal Ltd, une entreprise proche de la conseillère en politique étrangère de Viktor Orbán, Zsuzsanna Rahói, son frère était le directeur général de l’entreprise, a été dissoute quelques mois seulement après avoir réalisé des bénéfices en vendant des respirateurs artificiels pour 17 milliards de forints (48 millions d’euros) pendant la pandémie et après avoir distribué de généreux dividendes aux propriétaires de l’entreprise.

Au final, environ 1 600 respirateurs ont été nécessaires au plus fort de la pandémie en Hongrie. Depuis, le pays stocke les machines dans un entrepôt et tente tant bien que mal de les vendre pour éviter les frais de stockage. Des centaines ont été donnés à d’autres pays.

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Clément Vérité

Clément est le rédacteur en chef et fondateur de Newsendip.

Il a démarré dans l'univers des médias en tant que correspondant à 16 ans pour un journal local après l'école et ne l'a jamais quitté depuis. Il a ensuite pu travailler pendant 7 ans au New York Times, notamment en tant que data analyst. Il est titulaire d'un Master en management en France et d'un Master of Arts au Royaume-Uni en stratégie marketing et communication internationale. Il a vécu en France, au Royaume-Uni et en Italie.