La décision de l’Espagne de soutenir le plan du Maroc sur l’autonomie du Sahara occidental, et donc sa souveraineté sur le territoire, montre l’imbrication des relations internationales entre pays. Faut-il y voir des conséquences avec la guerre en Ukraine ?
Le président du gouvernement espagnol Pedro Sánchez a rencontré le roi Mohamed VI le 7 avril pour discuter des nouvelles relations entre l’Espagne et le Maroc.
« Nous entamons un nouveau chapitre de notre longue histoire commune, qui devrait nous permettre d’affronter avec confiance les défis mais aussi les nombreuses opportunités de l’avenir », a déclaré Pedro Sánchez.
Le 18 mars, l’Espagne a officiellement soutenu la vision du Maroc sur le Sahara occidental après des années de neutralité.
Le Maroc revendique sa souveraineté sur le Sahara occidental, au sous-sol riche en phosphate et les eaux en poisson, depuis que l’Espagne a quitté sa colonie en 1976. Mais la République arabe sahraouie démocratique a été proclamée par le Front Polisario. Considéré comme un territoire non autonome par les Nations unies depuis 1963, un cessez-le-feu est en vigueur au Sahara occidental depuis 1991.
Résoudre une crise diplomatique avec le Maroc
Avec cette décision en faveur de Rabat, qui ouvre la porte à la reconnaissance de la souveraineté du Maroc au Sahara Occidental, Madrid espère mettre fin à une crise diplomatique qui dure depuis un an.
L’année dernière, en avril, l’Espagne avait accueilli Brahim Ghali, chef du Front Polisario, pour le soigner d’une infection au COVID-19. Cela a suscité l’ire du royaume marocain.
Alors que l’Espagne gardait une position modérément neutre à propos du Sahara occidental, le Maroc mettait en pause ses revendications territoriales sur Ceuta et Melilla, deux enclaves espagnoles limitrophes du Maroc. Rabat régulait également l’arrivée de migrants africains tentant de venir en Europe clandestinement.
Mais le Maroc a laissé passer des milliers d’entre eux et sont arrivés en nombre à Ceuta en mai dernier, ce que Madrid a vu comme une réponse politique de Rabat.
L’ambassadrice du Maroc en Espagne a été rappelée dans son pays, et est revenue deux jours seulement après que l’Espagne a annoncé soutenir le plan d’autonomie du Sahara occidental proposé par le Maroc en 2007, dans lequel la souveraineté du Maroc dans la région est reconnue.
Dans le contexte de la pandémie de COVID-19, le Maroc a également suspendu pour deux ans sa collaboration maritime avec l’Espagne. L’été dernier, il a contraint environ 3 millions de voyageurs, dont de nombreux Européens d’origine marocaine, à prendre le ferry de France ou d’Italie au lieu du sud de l’Espagne, ou à prendre l’avion. Le Maroc a maintenant décidé de rouvrir sa route maritime.
Le Maroc contrôle environ 80 % des territoires du Sahara occidental, mais le Polisario demande un référendum sur son autodétermination.
Le Polisario est également soutenu par l’Algérie. Le Maroc et l’Algérie ont cessé leurs relations diplomatiques en raison d’une querelle sur les accords d’Abraham qui a accru les tensions entre les deux pays.
Risques de voir l’Algérie augmenter les prix du gaz
Le Maroc a reconnu Israël dans le cadre d’un accord avec les États-Unis, qui ont en retour reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. L’administration de Donald Trump a même annoncé la création d’un consulat à Dakhla, qui aurait fait office de branche diplomatique officielle dans la région. Bien que le président Biden ait été moins enthousiaste par cette décision – le consulat pourrait ne pas être construit de sitôt – il a décidé de continuer à soutenir le Maroc, ce qui a été confirmé lors de la visite du secrétaire d’État américain Antony Blinken fin mars.
Mais les tensions entre l’Algérie et le Maroc se sont accrues depuis les accords d’Abraham et Alger a décidé de rompre ses relations diplomatiques avec son voisin en août dernier. En octobre, elle a également décidé de ne plus livrer de gaz par le gazoduc Maghreb-Europe. Alimentant l’Espagne puis le Portugal, le gazoduc traverse le Maroc. Cette décision empêche ainsi Rabat de prendre sa part du gaz algérien dans l’opération.
Une partie du gaz est expédiée en Espagne par bateau au lieu d’utiliser le gazoduc.
Dans le but d’apaiser les tensions avec le Maroc, l’Espagne a envisagé d’exporter du gaz algérien au Maroc par le gazoduc Maghreb-Europe, ce qui a été catégoriquement refusé par l’Algérie.
Avec 45% des importations, l’Algérie était le premier fournisseur de gaz de Madrid. Mais l’Espagne a diversifié ses fournisseurs et les États-Unis sont devenus leur principal partenaire depuis 2020.
Pendant ce temps, l’Europe essaye de réduire sa dépendance au gaz russe. L’Espagne bénéficie d’une grande capacité de stockage de gaz dans les ports, ce qui pourrait s’avérer utile et constituer un point d’entrée pour le commerce international du gaz. La construction d’un gazoduc entre la France et l’Espagne, autrefois considérée comme trop coûteuse, pourrait également être relancée.
Et l’Algérie pourrait être un fournisseur potentiel pour remplacer les contrats avec la Russie qui se terminent en fin d’année.
Mais la décision de l’Espagne pourrait affecter la possibilité d’augmenter l’approvisionnement en gaz algérien. Bien que les contrats entre l’Espagne et l’Algérie durent jusqu’en 2030, Sonatrach, la compagnie gazière détenue par l’État algérien, a reconnu qu’elle pourrait revoir les prix du gaz pour l’Espagne.
L’économie de l’Algérie dépend en grande partie des exportations de gaz et de pétrole. Avec la chute des prix de l’énergie liée à la pandémie de COVID-19 et au ralentissement de l’économie mondiale, la situation du pays était difficile. Mais la récente flambée des prix pourraient revigorer la position d’Alger. Sa balance du commerce extérieur est devenue positive en décembre pour la première fois depuis 2014.
Une décision pour plus de stabilité régionale ?
En plus de la colère de l’Algérie, la décision du gouvernement espagnol a été critiquée à la fois par les alliés du gouvernement de gauche et l’opposition de droite, arguant qu’une décision aussi importante a été prise sans consensus ni débat. L’indépendance du Sahara Occidental a de forts soutiens dans la société espagnole. De plus, l’Espagne n’a signé aucun document qui garantirait au pays certains avantages de la décision.
Avec le soutien des États-Unis pour la souveraineté du Maroc au Sahara Occidental, le Maroc a fait pression pour que d’autres pays emboîtent le pas.
En mai 2021, le Maroc a rappelé son ambassadeur à Berlin, en partie à cause de la position de l’Allemagne sur la question. Mais les tensions se sont apaisées avec le nouveau gouvernement après qu’il a loué la « contribution importante du Maroc à un accord en 2007 avec un plan d’autonomie » pour le Sahara occidental. Néanmoins, l’Allemagne déclare également que sa position sur le Sahara Occidental « est restée inchangée depuis des décennies ».
Le ministre des affaires étrangères Nasser Bourita a récemment demandé à d’autres pays de « sortir de [leur] zone de confort » au lieu de soutenir un statu quo.
« Il y a une dynamique au niveau international pour soutenir le plan d’autonomie marocain comme une issue sérieuse et crédible pour ce différend régional. C’est la position des États-Unis, c’est la position de l’Allemagne, c’est la position de la France, c’est la position des pays arabes, c’est la position des pays africains, et d’autres encore », a déclaré le ministre des affaires étrangères lors de la visite du secrétaire d’Etat américain Antony Blinken.
La France, qui était un partenaire de l’Espagne lorsque le Sahara Occidental est devenu une colonie, n’a pas changé de position. Elle est en faveur du Maroc, l’un de ses plus proches partenaires. Le ministère des affaires étrangères a réaffirmé que le plan est « une base de discussions sérieuse et crédible ».
Pour Nasser Bourita, « soutenir un processus ne signifie pas soutenir une solution », même s’il espère que cette solution sera trouvée « dans le cadre de la souveraineté marocaine et du plan d’autonomie marocain ».
Avec sa décision, l’Espagne n’aura probablement plus à gérer une arrivée massive d’immigration clandestine ni à se préoccuper de sa souveraineté territoriale à Ceuta et Melilla. Pour l’Europe, elle peut renforcer ses relations avec le Maroc, dans un contexte où les pays d’Afrique du Nord et d’Afrique centrale penchent de plus en plus vers la Russie.
Mais cela aura-t-il également un impact sur la guerre russe en Ukraine ? Le Maroc – et l’Algérie – se sont abstenus de condamner les actions de la Russie aux Nations Unies, ce qui a été modérément apprécié par les États-Unis et l’Union européenne.