Au Canada, la cour suprême de Colombie-Britannique accepte les drogues dures dans les parcs et jardins publics

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8 janvier 2024

La Cour suprême de la Colombie-Britannique estime qu’empêcher les consommateurs de drogues d’accéder aux espaces publics était associé à un plus grand nombre d’overdoses, ce qui pourrait causer un « préjudice irréparable ». Les porteurs de petites doses de drogues peuvent légalement s’approcher des terrains de jeux, des piscines et autres skate parks jusqu’à la fin du mois de mars au moins.

Image du parc McBride à Vancouver (Colombie-Britannique)
Parc McBride à Vancouver en Colombie-Britannique | © Ville de Vancouver

À la fin de l’année 2023, le président de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, Christopher Hinkson, a statué sur une mesure controversée dans l’essai de la décriminalisation des drogues dures dans la province canadienne.

Il s’est penché sur une plainte concernant la loi récente qui modifie les conditions de la décriminalisation et interdit aux porteurs de drogue de se trouver à proximité des terrains de jeux et d’autres lieux publics. Il a conclu que cette loi pourrait causer plus de tort que de bien aux citoyens et a bloqué temporairement sa mise en œuvre.

La plainte avait été déposée par la Harm Reduction Nurses Association (HRNA), association qui représente les intérêts des infirmières, en novembre dernier. Elle avait publié une déclaration indiquant qu’elle contesterait le nouvel amendement, également connu sous le nom de Projet de loi 34, qui interdit l’accès aux porteurs de drogue à certains espaces publics. D’autres groupes politiques et de défense, comme l’Association des travailleurs sociaux (BCASW), ont également contesté le projet de loi.

Le juge Hinkson a accepté les points soulevés par la HRNA, estimant que le projet de loi pouvait causer un « préjudice irréparable », et l’a bloqué pour deux mois supplémentaires.

L’amendement avait été adopté par la législature canadienne en septembre 2023 et devait entrer en vigueur en janvier 2024. Les porteurs de drogues ayant 2,5 grammes ou moins de drogues dures peuvent s’approcher des terrains de jeux, des piscines et des skate parks jusqu’au 31 mars 2024 au moins, selon le jugement de Hinkson.

Un test de décriminalisation des drogues en Colombie-Britannique

Avec ses 5 millions d’habitants, la Colombie-Britannique est la troisième plus grande province du Canada, un pays qui a légalisé l’utilisation du cannabis à usage récréatif en 2018. Fin 2022, le gouvernement de la Colombie-Britannique avait décidé de mettre en œuvre une décriminalisation généralisée des drogues détenues en petites quantités, afin de faire face au nombre croissant d’overdoses dans le pays.

Les services de santé d’urgence de la Colombie-Britannique (BCEHS) ont déclaré avoir reçu 33 654 appels de surdoses signalées en 2022, soit une augmentation de 10 000 à 15 000 appels par an comparée à avant 2016. Selon le gouvernement de la Colombie-Britannique, les overdoses ont été responsables de 189 décès par mois en 2022 dans la région.

Selon une étude de l’International Journal of Drug Policy, les principales substances à l’origine des overdoses sont des opioïdes synthétiques puissants comme le fentanyl, qui sont de plus en plus souvent associés à des benzodiazépines sur le marché illicite canadien. Ces drogues frelatées sont plus puissantes et plus toxiques que les opioïdes synthétiques eux-mêmes, selon l’étude.

La décriminalisation des opioïdes, du crack, des méthamphétamines et de la MDMA en Colombie-Britannique, qui entra en vigueur en janvier 2023, marque un changement d’approche dans la législation de la province. Cette décriminalisation vise à réduire la stigmatisation liée à la consommation de drogues, afin de protéger les consommateurs des opiacés vendus illégalement.

L’exemption n’affecte que les lois contre la possession, permettant aux personnes de transporter jusqu’à 2,5 grammes de ces substances sans conséquences juridiques. Le trafic de drogue reste interdit.

Au sujet des cas d’overdose survenus en 2022, « le cadre actuel de la politique en matière de drogues, à savoir la prohibition, est le principal moteur de cet approvisionnement illégal, non réglementé et toxique dans la rue », a estimé le bureau du coroner de la Colombie-Britannique. « Tant que de nouvelles approches réglementaires ne seront pas mises en œuvre […], il est peu probable que le risque de dommages importants, de décès et de cette urgence de santé publique s’améliore. »

Une tentative d’éloigner les consommateurs des aires de jeu

En septembre 2023, la législature de la Colombie-Britannique a demandé à modifier l’exemption de trois ans. Le projet de loi 34 avait été adopté pour empêcher les détenteurs de drogues de se trouver à moins de 15 mètres de certains espaces, notamment avec des enfants, pendant la période de décriminalisation. La liste comprend principalement les terrains de jeux, les piscines publiques et les skate parks.

Le 14 septembre, la ministre de la santé mentale et des dépendances du Canada, Ya’ara Saks, a approuvé le projet de loi 34. « J’accède à la demande de la Colombie-Britannique de modifier l’exemption, qui entrera en vigueur le 18 septembre 2023, avait déclaré Mme Saks. Il s’agit d’une étape essentielle pour que les personnes se sentent en sécurité dans leurs communautés, tout en continuant à soutenir certaines des populations les plus vulnérables. »

Elle approuvait en particulier les outils que la loi est censée donner aux forces de l’ordre pour protéger les espaces publics, qui seraient autorisées à déplacer les porteurs de drogue ou à se saisir de leurs substances. La loi devait entrer en vigueur en janvier 2024.

L’intervention de la Cour suprême

Suite à la validation du projet de loi 34, la HRNA a déposé une injonction contre la Colombie-Britannique. Elle a affirmé que l’amendement était inconstitutionnel, car il éloignerait davantage de consommateurs de drogues des lieux publics, ce qui entraînerait un plus grand nombre d’overdoses mortelles en raison de l’isolement. Elle a également critiqué le manque de centres de prévention et de traitement des overdoses.

La HRNA a cherché à retarder la mise en œuvre du projet de loi 34 de janvier au 31 mars 2024. La Cour suprême ne pouvait le faire que si elle estimait que la loi pouvait causer un « préjudice irréparable » aux citoyens, conformément au code juridique canadien.

Le juge Hinkson a donc validé les revendications de la HRNA. Il a cité une étude, Factors Associated with Nonfatal Overdose During a Public Health Emergency, qui indique que les surdoses survenues chez des personnes ayant reçu une assistance médicale ont tendance à ne pas être mortelles.

L’étude montrait que la consommation de drogues dans les espaces publics était associée à un plus grand nombre d’overdoses. M. Hinkson en a donc conclu que ce seul fait pouvait causer un préjudice irréparable. Pour justifier sa décision, M. Hickson a fait référence au rapport d’examen des décès réalisé par le coroner de la Colombie-Britannique en 2022.

« La criminalisation des comportements liés à l’usage de drogues permet au public de percevoir ces comportements comme déviants et honteux, ce qui empêche les personnes de chercher le soutien dont ils ont besoin et les oblige à cacher leurs besoins par crainte de sanctions pénales », indique le rapport d’examen des décès, cité par M. Hickson.

Sur la base des informations fournies, M. Hickson a conclu que l’amendement pourrait causer un préjudice irréparable et a reporté son entrée en vigueur au 31 mars 2024.

Alexander Saraff Marcos

Alexander est rédacteur pour Newsendip.

Il possède la double nationalité américaine et espagnole et vit entre l'Espagne et la France. Il est diplômé de l'université de Pittsburgh avec une spécialisation en philosophie et en langue française. Il aime regarder et écrire sur l'e-sport sur son temps libre.