Ce que l’objectif de neutralité carbone de Netflix ne dit pas

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1 avril 2021

Netflix prévoit d’être neutre en carbone, mais ne tient pas compte d’un facteur clé : ses utilisateurs.

Netflix a partagé son ambition de devenir une entreprise neutre en carbone d’ici à la fin 2022 et a publié son rapport sur la gouvernance environnementale et sociétale pour 2020.

L’objectif est à la fois de réduire les émissions de gaz à effet de serre et de compenser ce qui est émis en restaurant « les prairies, les mangroves et les sols sains ».

On apprend dans ce rapport que Netflix a estimé son empreinte carbone pour 2020 à 1,1 million de tonnes d’équivalents de dioxyde de carbone (MTCO2e).

Netflix
Netflix a pour ambition de devenir une entreprise neutre en carbone d’ici 2022

C’est une baisse de 16% par rapport à 2019, ce que l’entreprise justifie en grande partie par les productions de contenus retardées pendant la pandémie de Covid-19.

L’entreprise indique avoir compensé 5% des émissions de carbone de 2020 (contre 3% en 2019). Le programme devrait donc compenser encore 95 % des émissions de carbone de l’entreprise d’ici à la fin de 2022.

Mais que signifie réellement 1,1 MTCO2e ?

Une forêt deux fois la taille du Luxembourg serait nécessaire pour compenser la production de contenu de Netflix

L’énergie produite par Netflix équivaut à la production d’une centrale électrique à charbon pendant trois mois, selon le Greenhouse Gases Equivalencies Calculator de l’Agence américaine de protection de l’environnement.

Il serait possible pour Netflix d’atteindre la neutralité carbone en utilisant 227 éoliennes tout au long de l’année.

Il faudrait 5 500 kilomètres carrés de forêts américaines pour emprisonner les émissions de carbone annuelles de Netflix. Cela représente environ la moitié de la superficie de la Jamaïque et le double de celle du Luxembourg.

Il s’agit donc d’un investissement considérable et d’une ambition importante de la part de Netflix, mais qui reste réalisable.

Forêt nationale d'Angeles en Californie
Pour compenser l’empreinte carbone de la production de contenu de Netflix en 2020, la superficie de la forêt nationale d’Angeles en Californie est nécessaire | Vijay Somalinga

En se penchant sur les estimations dans le détail, nous pouvons également apprendre que 50 % des émissions de carbone sont dues à la production de contenu. La superficie de la forêt nationale d’Angeles en Californie est déjà nécessaire pour compenser ce phénomène.

Cependant, seulement 5 % des gaz à effet de serre émis par l’entreprise proviennent du streaming, qui inclut son fournisseur dans le cloud Amazon Web Services ou encore Open Connect, un réseau de diffusion de contenu.

En fait, l’entreprise ne tient pas compte des émissions de carbone produites par l’utilisateur lorsqu’il regarde les vidéos.

Netflix se réfère au protocole GCG de Carbon Trust et exclut certaines de ses activités indirectes en aval de leur production.

Netflix n’inclut pas les émissions de carbone de ses utilisateurs

Pourtant, l’utilisation de ses produits vendus assurément une activité en aval à inclure dans le calcul selon le protocole.

Cependant, ce qui est facultatif, ce sont les « émissions indirectes de la phase d’utilisation des produits vendus au cours de leur durée de vie prévue », comme l’électricité consommée pour regarder Netflix sur l’appareil de l’utilisateur.

L’entreprise considère en fait que la « meilleure pratique actuelle » est que « les fournisseurs d’accès à Internet et les fabricants d’appareils de tenir compte de ces émissions ».

En résumé, l’utilisateur, la télévision ou le fournisseur d’accès à Internet sont responsables de l’énergie utilisée pour regarder Netflix. Mais pas Netflix.

Au-delà des arguments sur la responsabilité, le rapport RSE de Netflix mentionne qu’une heure de streaming vidéo représente « bien moins de 100 gCO2e, ce qui équivaut à conduire un véhicule de tourisme à essence sur 400 mètres ».

Sur la base de ses propres chiffres, nous pouvons avoir une estimation conservatrice des émissions de carbone de des utilisateurs de Netflix.

10 millions de personnes regardent Netflix en continu

Famille regardant la télé
Il y a plus de 204 millions de comptes Netflix dans le monde

Netflix a déclaré que les membres du monde entier ont regardé des vidéos pendant plus de 140 millions d’heures par jour, ce qui représentait environ 71 minutes par jour en 2017.

Le temps moyen passé peut sembler élevé mais l’une des raisons est qu’un abonnement payant correspond à un membre ou à un abonné. Et pour la plupart des comptes, plusieurs personnes d’un même foyer sont en mesure de regardr des vidéos Netflix sur différents écrans simultanément, ce qui augmente le temps passé par jour sur la plateforme.

L’entreprise comtpe près de 204 millions d’abonnements payants au 4ème trimestre 2020, et malgré un ralentissement de la croissance, Netflix ne s’attend pas à une baisse du volume total des abonnements.

Avec l’estimation basse de 2017 de 71 minutes par jour, ces 204 millions d’abonnés regarderaient un total de 5 278 milliards d’heures de vidéos sur la plateforme au cours d’une année.

Cela équivaut à 10 millions de personnes regardant Netflix 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, pendant une année entière.

Les utilisateurs de Netflix émettent probablement 8 fois plus de gaz à effet de serre que Netflix lui-même

éoliennes
Plus de 1 000 éoliennes seraient nécessaires pour compenser l’empreinte carbone des utilisateurs de Netflix.

Selon l’estimation de Netflix, si une heure de streaming représente « bien moins » de 100 gCO2e, ces 5 278 milliards d’heures par an représentent donc « bien moins » de 8,8 millions de tonnes d’équivalents de dioxyde de carbone.

C’est huit fois plus que les 1,1 MTCO2e déclarés par les activités de Netflix.

Ces émissions de CO2 sont « bien inférieures » à ce que 1 830 éoliennes économisent en émissions de gaz à effet de serre par an, ou à ce que 43 600 km² de forêts américaines stockent en carbone, soit 20 fois la taille de Tokyo et 25 fois la superficie de Londres.

Mais ces estimations prudentes semblent encore bien en deçà de la réalité.

En 2019, l’ancienne vice-présidente des contenus Cindy Holland affirmait que les abonnés regardaient Netflix en moyenne 2 heures par jour. Ce n’était plus 71 minutes. Dans ce cas, les émissions de carbone des utilisateurs pourraient presque être deux fois plus élevées que le calcul ci-dessu.

De plus, le temps passé sur les écrans a probablement augmenté en 2020, une année marquée par les mesures de confirnement. Une étude de Nielsen a également montré une augmentation de 61 % du streaming vidéo sur la télévision pendant le confinement aux États-Unis, soit plus de 3 heures par jour, alors que les utilisateurs regardaient Netflix un peu plus d’une heure par jour en 2017.

Il semble donc juste de conclure que 8,8 MTCO2e par an pour ses utilisateurs n’est qu’une estimation basse. Ainsi, Netflix et ses utilisateurs combinés émettent plus de 10 millions de tonnes de CO2e par an.

Si Netflix était un pays et ses utilisateurs ses citoyens, il émettrait plus de CO2 que le Cameroun. Si ce n’est plus.

Sources et liens utiles :

Clément Vérité

Clément est le rédacteur en chef et fondateur de Newsendip.

Il a démarré dans l'univers des médias en tant que correspondant à 16 ans pour un journal local après l'école et ne l'a jamais quitté depuis. Il a ensuite pu travailler pendant 7 ans au New York Times, notamment en tant que data analyst. Il est titulaire d'un Master en management en France et d'un Master of Arts au Royaume-Uni en stratégie marketing et communication internationale. Il a vécu en France, au Royaume-Uni et en Italie.