Le projet d’agrandissement du parc national de Ruaha a fait l’objet de plusieurs enquêtes pour abus, conduisant l’organisme mondial à bloquer les derniers financements. Alors que la faune sauvage est en augmentation en Tanzanie, le développement des safaris et du tourisme, premier vecteur de croissance économique du pays, peut se faire en abusant des populations locales.

La Tanzanie s’apprêtait à recevoir les 50 millions de dollars restants d’un financement global de 150 millions de dollars destiné à développer le tourisme dans le sud du pays. Mais la Banque mondiale a fait marche arrière. Les financements ont été suspendus à la suite d’allégations de meurtres, vols, viols et expulsions forcées sur la zone du parc national de Ruaha, au cœur du projet.
« Nous avons reçu des informations qui suggèrent des violations de nos politiques dans la mise en œuvre du projet de gestion résiliente des ressources naturelles pour le tourisme et la croissance (Regrow) en Tanzanie. Nous avons donc décidé de suspendre tout nouveau versement de fonds avec effet immédiat », a déclaré ce mardi un porte-parole de la Banque mondiale, comme rapporté par The Guardian.
L’institution internationale avait donné aux autorités tanzaniennes jusqu’à novembre pour régler les plaintes de violations des droits civils liées à au programme déposées par deux citoyens tanzaniens anonymes, avant d’ouvrir une enquête formelle sur la question. Le conseil d’administration de la Banque mondiale a autorisé, le 15 novembre dernier, l’ouverture d’une enquête sur le projet Regrow.
Assassinat d’un éleveur de bétail
Le groupe de réflexion Oakland Institute, basé aux États-Unis, avait déjà documenté une série de violences commises par des gardes tanzaniens à l’encontre de villageois accusés d’empiéter sur le parc national.
L’organisation s’est félicitée de l’annonce de la suspension des financements qui intervient, selon eux, un an après qu’ils aient informé la Banque mondiale de violations potentielles de ses propres politiques sur le site du parc national de Ruaha.
Anuradha Mittal, directrice exécutive du groupe de réflexion, a déclaré : « Cette décision envoie un message clair au gouvernement tanzanien : les violations des droits de l’Homme commises dans tout le pays pour stimuler le tourisme ne sont pas sans conséquences. Les jours d’impunité touchent enfin à leur fin. »
L’Oakland Institute a précisé qu’en dépit de l’annonce de l’enquête par la Banque mondiale, le gouvernement tanzanien a poursuivi ses plans visant à redessiner les limites du parc national, entraînant l’expulsion de 21 000 personnes. D’autres abus auraient suivis, notamment l’assassinat d’un éleveur de bétail de 21 ans, des viols de femmes, ainsi que la saisie de milliers de pièces de bétail.
« Le projet du gouvernement d’agrandir le parc ne peut aller à l’encontre de la volonté des communautés locales, qui perdront tout dans cette expansion, a déclaré M. Mittal. En plus d’empêcher les expulsions forcées, la banque doit se concentrer sur la manière de remédier aux préjudices causés aux villageois qui ont perdu des êtres chers à cause de la violence des gardes forestiers ou dont la vie a été dévastée par les restrictions imposées aux moyens de subsistance. »
Détentions arbitraires de Maasaï au nord
Ce n’est pas la première fois que le gouvernement tanzanien est accusé de mauvais traitements au profit de projets touristiques lucratifs. En juin 2023, Amnesty International a publié un rapport mettant en évidence le recours excessif à la force, les arrestations et détentions arbitraires, ainsi que les expulsions forcées de membres de la communauté indigène Maasaï à Loliondo, qui fait partie de la zone de conservation de Ngorongoro, un parc national au Nord de la Tanzanie, rattaché au célèbre parc du Serengeti.
Le rapport révèle que la force a été utilisée contre les Maasaï pour acquérir les 1 500 km 2 de terres du village de Loliondo, afin d’y étendre des réserves de chasse de luxe.
Le secteur des services et du tourisme constitue le principal moteur de la croissance économique de la Tanzanie, avec une expansion record de 7,3% en 2023, soit plus de 3,3 milliards de dollars de revenus.
Le pays semble tout miser sur ses parcs nationaux, quitte à empiéter sur les droits des populations locales.
Mais le gouvernement tanzanien a nié les allégations selon lesquelles les villageois ont été victimes d’abus, y compris d’expulsions forcées, dans le cadre du projet d’expansion du parc national.
« Le gouvernement tanzanien ne viole les droits de l’homme dans la mise en œuvre d’aucun projet, y compris celui financé par la Banque mondiale », a déclaré jeudi Mobhare Matinyi, porte-parole du gouvernement, à la chaîne de télévision publique TBC.
« La Banque mondiale a reçu des rapports d’organisations de la société civile qui ont jeté des doutes sur le projet, alléguant des violations des droits de l’homme dans la région. Ces rapports sont faux », a‑t-il ajouté.
L’Industrie du tourisme
L’Autorité des parcs nationaux de Tanzanie (Tanapa) a enregistré une augmentation significative de 94 % de ses recettes au cours des trois dernières années sur l’ensemble des 22 parcs du pays, l’industrie du tourisme s’étant remise des effets de la pandémie de Covid-19. Les recettes sont passées de près de 68 millions de dollars en 2021/2022 à 130 millions de dollars en 2022/2023.
Et pour cause, selon les résultats d’un recensement de l’Institut tanzanien de recherche sur la faune sauvage publié ce mardi, le pays compte le plus grand nombre de buffles en Afrique, avec plus de 50 % de l’ensemble des buffles présents sur la planète, soit un total de 225 000.
La Tanzanie occupe également la première place en ce qui concerne le nombre de léopards, avec un total de 24 000 félins recensés, plus nombreux que les lions, dont le nombre est estimé à 17 000, ce qui est, ici aussi, le chiffre le plus élevé du continent. De quoi donner des envies d’accroître le nombre des ventes de safaris, quel qu’en soit le prix.
Note : L’article a été mis à jour le 25 avril pour inclure la réponse du gouvernement tanzanien qui rejette les allégations de violations des droits de l’Homme.