Le président mexicain Andrés Manuel Lopez Obrador souhaite une réforme constitutionnelle sur l’électricité mais le secteur privé et les États-Unis s’inquiètent du pouvoir accru de l’État.
Le président de gauche du Mexique Andrés Manuel López Obrador, également connu sous le nom d’AMLO, veut accroître la souveraineté énergétique du Mexique. À ce titre, il prévoit de réformer l’industrie électrique mexicaine en renforçant les positions sur le marché de la Commission fédérale de l’électricité (CFE), l’entreprise d’électricité publique.
Le projet de loi présenté en septembre dernier à la Chambre des députés proposait de revenir partiellement sur la libéralisation de l’électricité mexicaine.
Son prédécesseur libéral à la tête du Mexique Enrique Peña Nieto avait procédé à une précédente réforme en 2013. « Nous essayons de réparer les dommages causés par la soi-disant réforme énergétique et de reprendre le contrôle des prix de l’énergie », a déclaré AMLO en octobre.
Si le changement constitutionnel est approuvé, la CFE contrôlerait 56% de la répartition de l’électricité dans le pays au lieu des 38% actuels. L’État mexicain deviendrait l’acteur majoritaire.
Le Centre national de contrôle de l’énergie (Cenace), qui contrôle les tarifs de l’électricité, serait intégré à la CFE. Les autres régulateurs indépendants de l’énergie disparaîtraient également. Et le Mexique conserverait le monopole de l’extraction du lithium, excluant l’octroi de concessions à des entreprises privées.
Les experts ne s’accordent pas sur la question de savoir si le prix de l’électricité pour les Mexicains augmentera ou diminuera avec la réforme.
Le débat est intense parmi les politiques mexicains et entre les acteurs de l’industrie de l’énergie, car deux visions de l’économie s’opposent.
Pour Carlos Salazar Lomelín, président du plus grand organe de représentation des entreprises, la libéralisation du secteur de l’énergie le rend plus dynamique.
Le lobbying des entreprises contre la réforme de l’électricité du Mexique
Mais il estime que la réforme ramènerait le secteur de l’électricité aux années 1960 : « Notre pays a beaucoup changé au cours des dernières décennies. Nous avons aujourd’hui une économie moderne, ouverte au commerce et aux investissements du monde entier, et nous aspirons à devenir l’un des plus grands pays du monde. » La réforme donnerait un mauvais signal à l’investissement privé, les entreprises mettant en pause plusieurs projets pour voir comment les choses vont se dérouler.
Pour Miguel Reyes Hernández, directeur général de CFE, le secteur privé vole l’argent public et bénéficie de 490 milliards de pesos (23,6 milliards de dollars) de subventions.
Les opposants à la réforme d’AMLO affirment que cela ferait fuir les investissements privés et ralentirait la modernisation du secteur, notamment dans le domaine des énergies renouvelables.
De l’autre côté, le gouvernement avance que ce changement est dans l’intérêt de la population et qu’il fournira des prix plus justes aux Mexicains. En réduisant le pouvoir des entreprises privées, il réduirait également la corruption et la fraude.
Depuis 2013, davantage d’entreprises comme le distributeur, embouteilleur et brasseur Femsa, ont obtenu des permis d’auto-approvisionnement pour produire leur propre électricité et devenir plus indépendant du réseau électrique. Mais pour la ministre de l’Énergie Rocío Nahle, certaines entreprises vendent leur électricité et utilisent le réseau de la CFE pour la distribuer sans payer, créant un marché parallèle illégal et de l’instabilité dans le réseau électrique.
La présence accrue de l’État mexicain sur le marché de l’électricité inquiète également les États-Unis. Elle ne donne pas un signal rassurant pour les investissements des entreprises américaines du secteur de l’énergie.
Comme précédent marquant, le Mexique avait décidé de nationaliser tout le pétrole mexicain et a exproprié les entreprises américaines et britanniques opérant dans le pays en 1938.
Plusieurs législateurs républicains ont demandé que l’administration américaine mette un terme à la réforme mexicaine. La Chambre de commerce américaine a affirmé qu’elle violerait les accords commerciaux nord-américains, fausserait la libre concurrence et défavoriserait les entreprises américaines au Mexique.
La CFE a répondu que les changements n’affecteraient pas les accords internationaux ou l’approvisionnement en électricité.
Incertitudes environnementales concernant l’approvisionnement en électricité
L’électricité fournie aux Mexicains pourrait également devenir plus polluante, un autre argument avancé contre AMLO.
Greenpeace Mexique estime que les réformes de l’énergie augmenteraient l’utilisation du pétrole et du charbon. Le ministre de l’énergie affirme que seulement 3 % de l’électricité au Mexique provient du charbon, soit beaucoup moins qu’aux États-Unis.
En novembre, un document non finalisé du National Renewable Energy Laboratory (NREL) du ministère américain de l’énergie montrait que la réforme pourrait entraîner une augmentation de 26 % à 65 % des émissions de carbone au Mexique, une hausse des coûts de production d’électricité et des coupures de courant plus fréquentes. Les dirigeants mexicains ont contesté ces conclusions en affirmant que d’ancienne données avaient été utilisées.
Mais le NREL a publié en janvier un rapport selon lequel les coûts de production de l’électricité augmenteraient de 32 % à 53 % selon différents scénarios. Cela générerait davantage d’émissions de gaz à effet de serre et entraînerait une plus grande consommation de combustibles fossiles, notamment avec une hausse considérable de l’utilisation de fioul.
Pour augmenter sa capacité de production, la CFE utiliserait du fioul, un résidu de pétrole brut raffiné. Cette solution chargée en carbone serait utilisée pour produire de l’électricité. Cela aggraverait l’empreinte carbone du Mexique mais, d’un autre côté, cela pourrait aider PEMEX, la compagnie pétrolière publique mexicaine, à éliminer ses déchets.
La secrétaire américaine à l’énergie, Jennifer Granholm, s’est rendue au Mexique et a rencontré le président mexicain en janvier. Au cours de son voyage, elle a « expressément fait part des réelles préoccupations de l’administration Biden-Harris quant à l’impact potentiellement négatif des réformes de l’énergie proposées par le Mexique sur les investissements privés américains au Mexique. La réforme proposée pourrait également entraver les efforts conjoints des États-Unis et du Mexique en matière d’énergie propre et de climat », a déclaré Jennifer Granholm dans un communiqué le 21 janvier.
La réforme doit être approuvée par deux tiers des membres du Congrès et du Sénat. Le processus législatif devrait s’achever au Congrès en avril 2022.
Mise à jour : la réforme fut rejetée.