Pourquoi le président argentin a proposé d’être une porte d’entrée en Amérique latine pour la Russie, quelques jours après un accord avec le FMI

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8 février 2022

Le président argentin propose d’être une porte d’entrée en Amérique latine pour la Russie afin de réduire sa dépendance vis-à-vis du FMI et des Etats-Unis. Pourtant, l’Argentine venait de trouver un accord avec le FMI et avait demandé le soutien politique des Américains.

Les présidents argentin Alberto Fernández et russe Vladimir Poutine
Alberto Fernández (à gauche) et Vladimir Poutine (à droite) le 3 février lors de la visite présidentielle de l’Argentine en Russie | © Alberto Fernandez

Avant de se rendre à la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Pékin 2022, le président argentin Alberto Fernández s’est arrêté en Russie pour rencontrer Vladimir Poutine le 3 février.

Alors que les deux pays ont signé des accords autour les industries gazière, pétrolière et chimique et sur des investissements pour le déploiement de trains électriques en Argentine, le président argentin socialiste en a profité pour évoquer la situation économique difficile que traverse actuellement son pays.

« L’Argentine se trouve dans une situation particulière en raison de son endettement » a déclaré Alberto Fernández lors d’une conférence de presse. « L’économie argentine dépend beaucoup de la dette qu’elle a contractée auprès du FMI, et de l’influence que les États-Unis ont dans cette organisation », a‑t-il souligné.

Il n’a pas manqué de blâmer son prédécesseur Mauricio Macri qui a signé le prêt avec le Fonds monétaire international pour 44,5 milliards de dollars en 2018, le prêt le plus important que le Fonds ait jamais octroyé à l’époque.

Alberto Fernández a également loué une collaboration avec la Russie afin d’approfondir les liens entre les deux pays car il est « déterminé à ce que l’Argentine ouvre une autre voie et je crois que la Russie a un rôle important à jouer dans ce domaine ».

« Nous devons regarder plus attentivement comment l’Argentine devient une porte d’entrée en Amérique latine pour la Russie », a insisté le président lors de son discours.

Pour Alberto Fernández, l’approfondissement des liens avec la Russie est un moyen de réduire sa dépendance vis-à-vis du FMI.

Pourtant, l’enthousiasme du président pour les multiples accords bilatéraux intervient au milieu des tensions entre les États-Unis, l’OTAN et la Russie au sujet de l’Ukraine.

L’Argentine veut réduire sa dépendance à l’égard des États-Unis, mais a cherché son soutien pour ses négociations avec le FMI

De plus, ces déclarations interviennent quelques jours seulement après qu’Alberto Fernández et le ministre des finances Martin Gúzman ont trouvé un accord pour la restructuration de sa dette avec le FMI le 28 janvier.

Le pays devait payer 731 millions de dollars à la fin du mois de janvier mais l’échéance fut reportée. L’accord exigerait que l’Argentine n’ait plus de déficit budgétaire d’ici 2025 et qu’elle procède à des coupes dans les subventions pour les prix de l’énergie.

Le moment choisi pour la prise de position du président peut sembler d’autant plus osé que les détails avec le FMI ne sont pas encore finalisés.

Par ailleurs, le ministre argentin des affaires étrangères, Santiago Cafiero, s’était rendu aux États-Unis à la mi-janvier pour s’entretenir avec le secrétaire du département d’État américain, Antony Blinken. L’Argentine cherchait un soutien politique de la part des Américains concernant les négociations avec le FMI.

Pour le secrétaire général de la ville de Buenos Aires chargé des affaires étrangères, Fernando Straface, cette déclaration montre l’incohérence de la politique étrangère de l’Argentine. Mais il suggère que le discours s’adressait davantage à sa coalition gouvernementale qu’à la scène internationale.

Le FMI est également perçu par les Argentins comme l’organisation qui impose des réformes d’austérité dans le pays.

En fait, après que le président a déclaré que l’Argentine avait trouvé un accord avec le FMI, Máximo Kirchner a décidé de se retirer de son rôle de chef du bloc de partis de coalition au pouvoir à la Chambre des députés.

Máximo Kirchner est le fils de Néstor Kirchner et de Cristina Fernández de Kirchner, tous deux d’anciens présidents de l’Argentine. Cristina Kirchner est actuellement vice-présidente de l’Argentine. « Cette décision découle du fait que je ne suis pas d’accord avec la stratégie et, surtout, avec les résultats obtenus lors de la négociation », a écrit M. Kirchner dans une lettre ouverte.

La décision de Máximo Kirchner amène encore plus d’incertitude politique, car d’autres députés pourraient ne pas vouloir accepter l’accord avec le FMI alors que le Congrès est censée l’approuver.

Pragmatisme de l’Argentine ou politique étrangère contradictoire ?

Après la visite en Russie, Fernández s’est rendu en Chine, un autre pays qui entretient des relations difficiles avec les États-Unis en ce moment. L’Argentine sera incluse dans le programme massif de développement des infrastructures chinoises « Belt and Road ».

Avant son voyage en Russie et en Chine, M. Fernández a assuré que les accords commerciaux avec ces deux pays étaient dépendants de l’accord avec le FMI.

Pour le gouverneur de la province de Buenos Aires et ancien ministre des finances sous la présidence de Cristina Kirchner, Axel Kicillof, la tournée présidentielle en Russie, en Chine et à la Barbade n’est pas contradictoire avec l’accord passé avec le FMI.

Le gouverneur a estimé le 7 février que « la coïncidence de calendrier peut créer une certaine confusion ou donner lieu à des spéculations plutôt tristes » mais que la contradiction n’est vue que par « ceux qui cherchent simplement à faire du bruit », a‑t-il déclaré à la radio El Destape.

Il a demandé de ne pas analyser les accords avec ces pays « avec des yeux de conspirateurs ou avec des analyses dépassées ». « D’un point de vue empirique, le voyage a créé de nombreuses opportunités industrielles et commerciales », a‑t-il ajouté.

Comme M. Fernández et tous les dirigeants actuels du parti au pouvoir, il a tenu à souligner que la faute incombait principalement à Mauricio Macri pour avoir emprunté de telles sommes d’argent et les avoir dépensées en si peu de temps.

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Clément Vérité

Clément est le rédacteur en chef et fondateur de Newsendip.

Il a démarré dans l'univers des médias en tant que correspondant à 16 ans pour un journal local après l'école et ne l'a jamais quitté depuis. Il a ensuite pu travailler pendant 7 ans au New York Times, notamment en tant que data analyst. Il est titulaire d'un Master en management en France et d'un Master of Arts au Royaume-Uni en stratégie marketing et communication internationale. Il a vécu en France, au Royaume-Uni et en Italie.