En Irlande, la vente de tourbe pour se chauffer pourrait être limitée pour des raisons environnementale et de santé publique. Mais la question divise les politiques au sein même de la coalition, cherchant à défendre la ruralité.
Une motion votée à l’Assemblée d’Irlande, le Dáil Éireann, le 27 avril à 10 heures du soir fut rejetée de justesse par 72 voix contre 64. Visant à empêcher l’interdiction de commercialisation de la tourbe, la motion fut votée deux fois car l’écart était inérieur à dix voix.
Le vote fut précédé de plusieurs jours avec d’intenses discussions au sein de la coalition majoritaire, car la commercialisation du turf est censé être interdite à partir de septembre 2022, comme mentionné par le ministre de l’environnement Eamon Ryan plus tôt en avril, en réponse à une question au Parlement.
En septembre dernier, le ministre avait annoncé que de nouvelles normes pour les combustibles domestiques seraient introduites à travers l’Irlande dans l’année.
En refaisant surface, le sujet a profondément divisé le gouvernement de coalition composé du Fianna Fáil, du Fine Gael et des Verts, et soulevé une large opposition de la part des représentants des communautés rurales irlandaises.
Dans le même temps, le ministre Eamon Ryan s’efforçait à essayer d’éteindre les critiques. Le Premier ministre Micheál Martin est également intervenu pour réduire les tensions sur la question. Une série de réunions ont eu lieu dans les jours précédant le vote de la motion, car il se disait que l’interdiction de vendre la tourbe pourrait même faire chuter le gouvernement. Pourtant, la proposition de loi n’a pas été soumise et reste toujours en construction.
De plus, la tourbe ne représente aujourd’hui que 3 % de l’énergie consommée en Irlande, loin derrière les 45 % des besoins en énergie primaire de l’Irlande satisfaits par les produits pétroliers et les 34 % par le gaz naturel, selon l’Autorité irlandaise pour l’énergie durable. Son utilisation est par ailleurs en baisse.
La tourbe n’est pas seulement utilisée pour le whisky, à des fins industrielles ou dans les centrales. Séchée à l’air libre pendant un an, parfois comprimée en briquettes et plus communément appelée turf, la tourbe est aussi brûlée dans les cheminées des maisons irlandaises.
Le turf est enraciné dans les traditions irlandaises et a été pendant des années le principal moyen de chauffage des foyers, avec une odeur caractéristique. Dans les zones rurales, notamment dans l’ouest et dans la région du Midland, de nombreux particuliers possèdent une parcelle de tourbière, parfois partagée entre voisins, pour en extraire son sol, le laisser sécher en blocs et s’en servir comme principal et parfois unique chauffage en hiver. Si l’extraction de la tourbe est une industrie à part entière, certains particuliers en vendent aussi pour arrondir les fins de mois.
Les opposants au plan au sein de la coalition, tout comme le Rural Independent Group et le Sinn Féin, considèrent qu’une interdiction de la vente de tourbe serait préjudiciable aux communautés rurales. Le député Michael Healy-Rae, du groupe des Independents, a déclaré que le gouvernement avait « perdu l’Irlande rurale » à cause de ses politiques environnementales.
Dimanche, M. Ryan proposait que les communautés de moins de 500 personnes soient exemptées de la réglementation.
« Nous n’avions aucun problème avec son interdiction dans les points de vente et les stations-service, mais vous ne pouviez pas vous lancer et faire tomber le couperet sur des personnes qui dépendent du turf, quand bien même elles le vendent dans leurs propres communautés », a critiqué mardi Barry Cowen du parti Fianna Fáil et opposant déclaré à la proposition.
De son côté, le ministre Ryan a déclaré que le projet de loi n’inclurait pas l’interdiction de brûler le turf et que les personnes disposant de droits d’extraction seraient toujours autorisées à le faire pour chauffer leur foyer. Il a également précisé que le projet sera conçu pour se focaliser sur l’interdiction commerciale du turf, et non pour interdire de distribuer de la tourbe avec des membres de sa famille ou à des voisins.
« Il n’y aura pas de proposition qui affectera l’usage traditionnel de la tourbe et son partage l’Irlande rurale. Les droits dont les gens disposent actuellement seront protégés dans les zones rurales », a rassuré le Premier ministre lors d’une réunion avec les partis de la coalition mercredi, le jour du vote du Parlement, selon l’Irish Times.
« Il n’y a pas d’interdiction de l’utilisation de la tourbe en Irlande rurale et il n’y aura pas d’interdiction d’ici la fin de l’année », a‑t-il également déclaré au parlement le même jour, semblant rendre le calendrier du plan d’action moins déterminé.
La motion a été émise par le Sinn Féin, un parti républicain irlandais créé pour la réunification de l’Irlande, avançant que l’interdiction à venir n’offrait aucune alternative à la tourbe. La chef du parti Sinn Féin, Mary Lou McDonald, a déclaré que « les personnes âgées et les personnes à faible revenu qui n’ont pas d’alternative vont lutter, et lutter difficilement ».
« Vous voulez interdire aux personnes dans les campagnes, mes voisins, de pouvoir acheter un lot de tourbe en septembre alors qu’ils n’ont pas d’autre solution de chauffage », s’est insurgé Pearse Doherty du Sinn Féin au Dáil auprès du ministre de l’environnement, également chef du parti des Verts, jeudi après le vote.
Mais M. Ryan a répondu que le gouvernement ne renoncera pas à un plan visant à restreindre les ventes de tourbe en Irlande.
Le turf, tout comme la houille, est une énergie fossile. Le brûler émet des gaz à effet de serre. Il est aussi connu pour polluer l’air et être un facteur aggravant dans les taux élevés d’asthme infantile en Irlande. Pour le ministre de l’environnement il faut mettre fin aux 1 300 personnes qui meurent chaque année en Irlande à cause de la pollution atmosphérique due à la combustion de combustibles solides – houille, tourbe, bois – selon le rapport 2020 de l’Agence européenne pour l’environnement sur la qualité de l’air en Europe.
Le gouvernement avant que l’interdiction de l’utilisation de la houille au sein des ménages, qui fait davantage consensus parmi les législateurs, ne serait possible qu’en limitant l’utilisation d’autres combustibles solides comme le bois et la tourbe. Le Premier ministre Martin a déclaré mardi que « la houille est le véritable ennemi », soulignant que « le turf est en train de disparaître en tant que combustible primaire ». L’industrie du charbon pourrait contester la législation si elle ne visait que la houille et non les produits issus de tourbières.
Dans un contexte de hausse des prix de l’énergie, la motion soumise par le Sinn Féin voulait également annuler l’augmentation de la taxe carbone prévue le 1er mai et supprimer temporairement les droits d’accise sur le fioul domestique, une tentative que M. Martin a qualifiée d’hypocrite. Une motion du Rural Independent Group visant à supprimer la taxe sur le carbone a également été rejetée.
La taxe carbone, qui s’applique à la tourbe ainsi qu’au charbon, aux produits pétroliers et au gaz naturel, devrait passer de 33,50 euros à 41 euros par tonne de carbone.