Les Pays-Bas et l’interdiction des investissements immobiliers : plus facile mais pas moins cher de devenir propriétaire

5 minutes de lecture
20 juin 2023

Les plus grandes villes des Pays-Bas ont mis en place des restrictions pour limiter les investisseurs de louer les biens immobiliers qu’ils achètent. La proportion de propriétaires occupants augmente et la population du quartier change. Mais les loyers ont augmenté alors que les prix des logements n’ont pas baissé.

Immeubles à Rotterdam
Rotterdam. Dans certains quartiers de la ville, les investisseurs ne peuvent pas louer les biens qu’ils achètent pendant quatre ans. | © Micheile Henderson

Dans les plus grandes villes des Pays-Bas, l’accession à la propriété est récemment devenue un peu plus accessible pour les classes moyennes, car de nombreuses municipalités découragent les investisseurs d’acheter des biens immobiliers à des prix abordables. Cependant, plus d’un an après le début de la mise en œuvre de cette politique, les prix des logements n’ont pas nécessairement baissé, tandis que les loyers semblent augmenter en raison de la diminution de l’offre.

Les premiers résultats concernant les conséquences des restrictions appliquées aux Pays-Bas sur les investisseurs immobiliers ont été publiés le 15 juin dans une étude réalisée par l’université d’Amsterdam et l’université Erasmus de Rotterdam, à l’aide des données du cadastre néerlandais jusqu’au 31 mars 2023.

La loi « Opkoopbescherming » (protection des achats) permet de décourager fortement les investisseurs d’acheter des biens immobiliers : une propriété dont sa valeur est inférieure à un plafond fixé par les municipalités ne peut être louée pendant les quatre années suivant son achat.

Les Pays-Bas ont adopté cette loi dans un contexte qui estimait que les investisseurs font grimper le marché de l’immobilier en surenréchissant sur le prix des biens, et qu’ils nuisent à la qualité de vie de quartier parce que les locataires seraient plus à même de rester moins longtemps et de moins respecter son voisinage par exemple.

La plupart des grandes villes néerlandaises ont appliqué une interdiction de location de quatre ans

Selon Statistics Netherlands, l’augmentation des prix de l’immobilier aux Pays-Bas a été régulièrement parmi les cinq plus élevées de l’Union européenne sur ces derniers trimestres. Les prix des biens immobiliers néerlandais, neufs et anciens confondus, ont augmenté de 13,4 % en 2022, s’ajoutant à une hausse de 15 % en 2021.

Annoncée au cours de l’été 2021, les modalités de mise en œuvre de la politique au niveau local ne sont devenues effectives que le 1er janvier 2022.

La politique a été élaborée au niveau national. Mais c’est bien aux villes de décider de l’application de la loi, de choisir la zone et la valeur fiscale du bien en dessous de laquelle la location est interdite pendant quatre ans après l’achat.

Toutes les villes néerlandaises de plus de 200 000 habitants ont introduit une politique de restriction des investissements immobiliers en 2022, et la plupart d’entre elles ont décidé de l’appliquer sur l’ensemble de leur parc immobilier en dessous d’un plafond.

Rotterdam, la deuxième ville des Pays-Bas, a été la première à introduire cette politique, mais presque la seule à ne l’appliquer que partiellement. La réglementation de Rotterdam couvre 27 % du parc immobilier de la ville, tandis que celle d’Amsterdam en couvre 60 %.

À Rotterdam, le prix plafond a été fixé à 355 000 euros dans les quartiers réglementés où plus de 90 % des biens immobiliers sont inférieurs à ce prix. À La Haye, le plafond a été fixé à 255 000 euros, ce qui limite la protection aux propriétés les moins chères de la ville, les transactions immobilières s’opérant en moyenne 20 % au-dessus du plafond.

Un accès plus facile à la propriété, mais pas moins cher

L’étude a montré que les résidents avaient plus de chances d’acheter un logement dans les quartiers où les investisseurs immobiliers étaient exclus. Au niveau national, environ 2 000 biens ont été vendus à des propriétaires résidents alors qu’ils seraient revenus à des investisseurs sans l’application de la loi, selon le rapport.

À Rotterdam en particulier, la ville qui possède le plus de données comparatives, l’étude a révélé que la politique a permis de réduire d’environ 75 % les achats d’investisseurs sur les propriétés réglementées. Cela équivaut à une réduction de 23 points de pourcentage de la part des investisseurs dans les achats immobiliers. L’étude montre un effet similaire à l’échelle nationale, bien qu’il ne s’agisse que d’une réduction de dix points de pourcentage.

De plus, les investisseurs ne semblent pas avoir transféré leurs recherches dans des quartiers voisins où les restrictions ne s’appliquaient pas, un phénomène également appelé « effet du matelas à eau » (effectuer une pression sur un matelas à eau à un endroit ne fait que déplacer l’eau autre part).

Mais les prix sur le marché de l’immobilier n’ont pas baissé, ce qui signifie que les investisseurs immobiliers pourraient ne pas contribuer à la hausse des prix du logement, ont suggéré les responsables de l’étude. Cela irait à l’encontre de l’idée largement répandue selon laquelle les investisseurs ont fait grimper les prix.

Pour Matthijs Korevaar, professeur adjoint à l’Erasmus School of Economics, les investisseurs disposent généralement d’une situation financière plus solide – capacité d’emprunt plus importante, absence de conditions suspensives dans certains cas, etc. – ce qui peut leur donner un avantage devant les vendeurs par rapport aux ménages qui ont besoin d’un emprunt bancaire conséquent. Les investisseurs paieraient des prix similaires mais auraient de meilleures chances d’acheter un logement grâce à leur situation financière.

Une autre explication donnée dans le rapport est que l’interdiction des investisseurs a entraîné une augmentation de la demande de la part des propriétaires occupants, en partie motivée par l’embourgeoisement d’un quartier.

En effet, plus que les conséquences sur le prix des logements, le rapport suggère que l’interdiction a une influence plus évidente sur la composition du quartier, dont la population devient plus âgée et plus riche.

Les prix des loyers ont augmenté de 4 %

Les locataires sont généralement plus jeunes, ont des revenus plus faibles et sont plus susceptibles d’être issus de l’immigration. La loi Opkoopbescherming semble les affecter négativement.

En conséquence, si l’accès à la propriété s’est amélioré pour les ménages à revenus moyens, l’accessibilité au logement pour les familles à faibles revenus s’en est trouvée amoindrie, « affaiblissant certaines des intentions de la loi », souligne le rapport.

À Rotterdam, les loyers ont augmenté d’environ 4 % dans les quartiers réglementés par rapport aux zones non réglementées de la ville depuis la mise en œuvre de l’interdiction. Cela représente une moyenne d’environ 50 euros de plus par mois sur le loyer. Les résultats devront malgré tout être confirmés par des données portant sur un plus grand nombre de villes et sur une période plus longue.

Si « l’achat d’une propriété n’est pas une option accessible à tous », les jeunes ménages et les migrants sont particulièrement vulnérables au changement de la loi restreignant le secteur locatif privé.

En moyenne, les résidents de propriétés appartenant à des investisseurs aux Pays-Bas ont trois ans de moins et sont 20 % moins susceptibles de posséder la nationalité néerlandaise que des propriétaires occupants.

Clément Vérité

Clément est le rédacteur en chef et fondateur de Newsendip.

Il a démarré dans l'univers des médias en tant que correspondant à 16 ans pour un journal local après l'école et ne l'a jamais quitté depuis. Il a ensuite pu travailler pendant 7 ans au New York Times, notamment en tant que data analyst. Il est titulaire d'un Master en management en France et d'un Master of Arts au Royaume-Uni en stratégie marketing et communication internationale. Il a vécu en France, au Royaume-Uni et en Italie.