Les jeunes Espagnols quittent le foyer parental quasiment à l’âge de 30 ans. Selon l’association espagnole Ayuda en Acción, le coût du logement et la précarité économique risquent de maintenir un faible taux d’émancipation dans les années à venir, malgré les efforts des autorités publiques et l’amélioration de l’emploi chez les jeunes.

Les jeunes Espagnols resteront probablement vivre chez leurs parents encore pendant un certain temps.
Le 11 avril, l’association espagnole Ayuda en Acción (Aide en action) a publié Emploi et jeunesse en Espagne : un regard sur 2030, un rapport anticipant les compétences, l’emploi, les inégalités et l’accès au logement des jeunes Espagnols au cours de la prochaine décennie.
Et l’étude prévoit que le taux d’émancipation – la proportion de jeunes ayant quitté le foyer parental – restera bien inférieur à la moyenne de l’Union européenne et sera même plus bas d’ici 2030, malgré les efforts déployés par les pouvoirs publics pour freiner son déclin.
Pour l’organisation non-gouvernementale et un panel de douze experts pluridisciplinaires, l’émancipation des jeunes en Espagne est rendue difficile par la précarité de leur situation économique et l’augmentation constante des prix de l’immobilier. L’émancipation est « clairement liée à deux éléments : l’accès à l’emploi et la disponibilité du logement ». Pourtant, le niveau d’éducation et le taux d’emploi s’améliorent.
Une émancipation parmi les plus âgées de l’Union européenne
En 2021, l’âge moyen d’émancipation était de 29,8 ans en Espagne, selon les données d’Eurostat. Il était de 26,5 ans dans l’Union européenne, soit 3,3 années de moins qu’en Espagne. C’est en Suède à 19,0 ans en moyenne que l’on quite le domicile parental le plus tôt dans l’UE, et au Portugal (33,6 ans) le plus tard.
Selon le rapport, près de la moitié (46,8 %) des Espagnols âgés de 25 à 34 ans vivaient encore chez leurs parents en 2021, contre 36 % en 2008, soit 16 points de pourcentage de plus que la moyenne de l’UE. Presque tous les jeunes de moins de 25 ans vivent avec leurs parents en Espagne.
Pour le directeur d’Ayuda en Acción, Fernando Mudarra, cela « montre la situation précaire et difficile à laquelle sont confrontées les nouvelles générations. Cela ajoute aux difficultés d’une partie de la population, généralement la plus vulnérable, à construire des projets de vie et un avenir comme elle le souhaiterait », a‑t-il alerté.
L’âge d’émancipation a augmenté ces dernières années en Espagne et est devenu une source d’inquiétude dans le pays. En Espagne, les jeunes Espagnols quittaient le domicile parental à 28,4 ans en moyenne avant la crise financière de 2008, une année qui a révélé un « fossé générationnel » et un « appauvrissement constant des jeunes par rapport à l’ensemble de la population », souligne le rapport.
En Catalogne, 83 % des personnes âgées de 16 à 29 ans vivaient avec leurs parents en 2021, rapportait le journal espagnol Público en début d’année, contre 68 % en 2008.
Après 2008, le taux de chômage des jeunes a augmenté en Espagne, entraînant une insécurité financière qui les empêchaient de quitter le cocon familial. La situation s’est ensuite améliorée au cours des dernières années. Le taux de chômage des moins de 25 ans était d’environ 37 % pendant la crise et est descendu à 29,3 % en février dernier.
Difficultés économiques pour quitter le foyer parental
Le rapport prévoit une nouvelle amélioration de l’emploi au cours de la prochaine décennie, pour atteindre un taux de chômage de 20 % pour les personnes âgées de 15 à 29 ans en 2030, contre 27 % en 2021. Mais malgré l’augmentation du niveau d’éducation de la population, un emploi ne garantit plus aux jeunes Espagnols de pouvoir se payer un logement.
Les jeunes Espagnols ont peut-être plus accès à l’emploi, beaucoup des opportunités restent précaires avec une prévalence de contrats à temps partiel beaucoup plus élevée que dans les groupes de population plus âgés.
En 2021, le taux d’emploi temporaire était de 25 % pour l’ensemble de la population en âge de travailler, mais de 69 % pour les 15–24 ans et de 39 % pour les 25–34 ans. Par ailleurs, alors que l’emploi temporaire a diminué de 3,6 points de pourcentage en général depuis 2008, il a augmenté de 9,9 points de pourcentage chez les 15–24 ans et de 3 points de pourcentage chez les 25–34 ans au cours de la dernière décennie.
Cette insécurité financière rend difficile l’obtention d’un logement.
Actuellement, 30 % des jeunes émancipés sont propriétaires de leur logement, soit deux fois moins qu’en 2006. Et la part des jeunes propriétaires ne devrait pas augmenter de sitôt, compte tenu des taux d’emprunt élevés et de l’inflation.
Dans un pays où la propriété est le principal mode d’occupation d’un logement – 75 % de la population était propriétaire de son logement en 2020 – l’accès à la location peut fluidifier le marché de l’immobilier, la location étant plus accessible pour les jeunes qui ont moins de capital. Mais cela n’a pas amélioré l’âge d’émancipation, car nombreux sont ceux qui ne peuvent pas payer un loyer avec leur salaire.
À Barcelone, les Espagnols de moins de 25 ans devaient utiliser 84 % de leur salaire pour payer leur loyer en 2020, ce qui est bien supérieur au taux généralement acceptable de 30 %, selon les données de l’Institut Català del Sol. Ce chiffre est presque deux fois plus élevé (46 %) qu’il y a dix ans. De plus, les loyers à Barcelone ont atteint un niveau record au troisième trimestre 2022.
Aux Baléares, le taux peut même être plus élevé encore, proche de 100 %. Mais il existe également d’importantes disparités territoriales tant au niveau social qu’économique.
Le taux d’émancipation devrait continuer à baisser malgré les efforts déployés
L’année dernière, le gouvernement espagnol a lancé plusieurs programmes pour aider les jeunes Espagnols à quitter le foyer parental dans le cadre d’un plan de 3,3 milliards d’euros sur trois ans pour fournir un « logement décent » à la population. Il aide financièrement ceux qui s’installent dans des zones rurales délaissées par exemple.
Pour Raquel Sánchez Jiménez, ministre des transports, de la mobilité et de l’urbanisme, « le logement est l’un des sujets sur lesquels ce gouvernement se penche le plus ». La semaine dernière, le ministère a approuvé un transfert de 260 millions d’euros pour « dynamiser l’offre de logements locatifs abordables ». Fin mars, il a signé un protocole pour la construction de 120 logements à loyer modéré dans une petite ville d’Estrémadure, l’une des régions prioritaires pour l’ONG.
Les autorités publiques locales prennent également des mesures pour promouvoir l’émancipation. Le gouvernement basque aide environ 15 000 jeunes à payer leur loyer grâce à des aides financières ou avec des logements subventionnés. Son observatoire du logement explique que « l’instabilité de l’emploi est un facteur évident pour expliquer les faibles taux d’émancipation ».
Mais malgré les efforts, de meilleures perspectives économiques et une légère amélioration du taux d’émancipation l’année dernière, le groupe d’experts dépêché par l’association espagnole prévoit que la proportion d’Espagnols âgés de 25 à 34 ans vivant chez leurs parents continuera d’augmenter, bien qu’à un rythme beaucoup plus lent qu’au cours de la dernière décennie, de 0,7 point de pourcentage, pour atteindre 47,5 % en 2030.
Ayuda en Acción espère que ce chiffre peut être ramené à 38 %. Outre l’amélioration des conditions économiques, le rapport recommande également l’adoption de taxes sur les logements vides afin d’augmenter l’offre de location d’appartements, l’amélioration de l’efficacité énergétique des bâtiments afin de réduire les coûts associés au logement, plus de projets de réhabilitation urbains et ruraux, des investissements visant à faciliter les transports et la connectivité des territoires, ainsi qu’un plus grand parc de logements publics comme alternative au marché de l’immobilier privé.
Le rapport met également en garde contre « l’énorme hétérogénéité au sein des jeunes eux-mêmes, avec des différences importantes selon qu’ils ont un emploi ou qu’ils sont au chômage ». Mais dans l’ensemble, la situation économique de l’Espagne reste la principale préoccupation des jeunes.
Pour 22 % d’entre eux, le chômage est le principal problème de l’Espagne, laissant les défis environnementaux à moins de 2,5 % de la population âgée de 18 à 34 ans qui les considèrent comme le principal problème de l’Espagne. Pourtant, 47 % des jeunes se disent préoccupés par l’environnement, lui attribuant les deux valeurs maximales sur une échelle de 10 points, contre 17 % pour l’ensemble de la population adulte.