Dans un projet de loi lié à la légalisation du cannabis, le gouvernement fédéral allemand prévoit une interdiction de fumer dans les véhicules en présence de femmes enceintes ou d’enfants afin de les protéger du tabagisme passif. Une initiative qui ne date pas d’hier mais qui n’a encore jamais vu le jour au niveau fédéral.
Le ministre fédéral allemand de la santé, Karl Lauterbach (Parti social-démocrate, SPD), souhaite que les enfants et les femmes enceintes soient protégés du tabagisme passif dans les véhicules.
D’abord rapporté par RDN, un média de Hanovre proche du SPD, le projet d’amendement de la loi sur la protection des non-fumeurs interdirait de fumer dans les véhicules fermés, tels que les voitures, lorsqu’une femme enceinte ou un enfant se trouve à bord.
Cette mesure vise à « assurer la protection nécessaire contre le tabagisme passif pour ce groupe de personnes particulièrement vulnérables, selon le document justificatif du projet de loi. L’exposition à la fumée dans la voiture est extrêmement élevée en raison du faible volume de l’espace ».
L’amendement proposé est inclus dans le projet de loi pour la légalisation du cannabis qui fait partie l’accord de coalition gouvernementale entre le SPD, le Parti démocrate libre (FDP) et les Verts. L’interdiction de fumer s’appliquerait aux cigarettes, aux cigarettes électroniques, à la fumée issue de tabac chauffé et au cannabis.
Le ministre de la santé a tweeté que « les enfants et les femmes enceintes doivent être mieux protégés dans la société. L’interdiction de fumer dans la voiture lorsqu’ils sont à bord est indispensable. Elle aurait dû être introduite plus tôt ; des dommages permanents peuvent survenir, en particulier pendant la grossesse et chez les jeunes enfants ».
Selon le Centre allemand de recherche sur le cancer (DKFZ), le tabagisme passif augmente de 40 % les risques de développer un cancer du poumon, et les enfants sont presque deux fois plus susceptibles développer de l’asthme. Des études ont montré que la concentration de polluants dans une voiture où l’on fume est en moyenne cinq fois plus élevée que dans un bar où fumer est autorisé.
Les contrevenants à la loi sur l’interdiction de fumer seraient passibles d’une amende, dont le montant n’est pas précisé.
Approuvé par tous les ministères, le projet d’amendement est encore susceptible d’être modifié à la suite de discussions avec des associations et avant une décision finale du gouvernement fédéral. Le Fonds allemand pour l’enfance a salué l’initiative du gouvernement.
L’idée d’interdire de fumer en présence d’enfants a été régulièrement évoquée en Allemagne, mais n’a, à ce jour, encore jamais abouti au niveau fédéral.
Des préoccupations d’ordre constitutionnel ?
Une loi fédérale de 2007 interdit de fumer dans les bâtiments publics et les transports en commun dans toute l’Allemagne.
Cependant, le gouvernement fédéral avait estimé qu’il incombait aux États de légiférer pour les restaurants, les bars et les boîtes de nuit. La plupart des États prévoient des exceptions à l’interdiction de fumer dans ces lieux, sauf en Bavière, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie et en Sarre, où la protection des non-fumeurs est plus stricte.
Mais depuis 2019, au moins cinq États fédéraux ont mis en œuvre des interdictions de fumer dans les véhicules en présence d’enfants et ont imposé des amendes allant de 500 à 3 000 euros aux fumeurs contrevenants.
Certains États fédéraux poussent pour une interdiction à l’échelle nationale.
En avril 2022, le Bundesrat, un organe législatif qui représente les seize Länder allemands au niveau fédéral, a publié un projet de loi visant à interdire de fumer dans les voitures afin d’éviter le tabagisme passif. Il a reconnu la difficulté de faire respecter une telle interdiction dans les foyers, mais a proposé de l’appliquer à l’intérieur des véhicules.
Certains critiques affirment qu’une telle interdiction est difficile à appliquer. La police par exemple doute qu’elle puisse être contrôlée, même si l’interdiction d’utiliser un téléphone portable au volant est déjà en vigueur par exemple.
Lars Lindemann, responsable politique du FDP en matière de santé, a déclaré vendredi à l’agence de presse allemande DPA qu’une « approche visant à soutenir et à promouvoir l’arrêt du tabac serait une meilleure solution ».
Ulrich Lange, de l’Union chrétienne-sociale, l’homologue bavarois de l’Union chrétienne-démocrate (CDU), a appelé à la responsabilité des fumeurs, au respect des autres passagers et attend des éclaircissements sur le projet de loi.
Pour Tino Sorge, porte-parole de la CDU pour la politique de santé, le projet du ministre est « hypocrite », estimant que M. Lauterbach aurait pu mettre en œuvre l’interdiction il y a longtemps alors qu’il n’a pas poursuivi l’initiative après la proposition des États. « De plus, le gouvernement fédéral avait émis des réserves constitutionnelles sur l’interdiction de fumer dans les voitures. La question de savoir si ces problèmes ont été résolus entre-temps se pose toujours », a‑t-il déclaré au Rheinische Post, un journal basé en Rhénanie-du-Nord-Westphalie.
L’année dernière, le gouvernement fédéral a déclaré que l’interdiction serait « accueillie sans réserve », mais qu’elle soulevait des problèmes potentiels en matière de droits constitutionnels. Comme une maison, une voiture est considérée comme un espace privé, et la loi pourrait empiéter sur les droits à la liberté individuelle.
En 2014 déjà, le ministère fédéral de la santé, dirigé alors par la CDU d’Angela Merkel, estimait que l’interdiction de fumer à l’intérieur d’une voiture en présence d’enfants constituerait un empiètement sur l’autorité parentale et doutait que le gouvernement fédéral ait la compétence législative pour adopter une telle loi.
Mais en octobre 2015, le même mois où le Royaume-Uni a promulgué une interdiction de fumer dans les voitures, les services de recherche du Bundestag estimaient qu’une interdiction de fumer dans les véhicules était compatible avec la Loi fondamentale qui fait office de constitution allemande.
Ils jugeaient que l’empiètement sur les libertés des fumeurs était proportionné, étant donné qu’ils peuvent faire des pauses pour fumer lors de longs trajets, alors que les enfants n’ont souvent pas la liberté de choisir de voyager à l’intérieur d’un véhicule non fumeur.