Le gouvernement norvégien a décidé de rejeter la demande de licence de NorthConnect pour la construction d’un câble entre la Norvège et l’Écosse, qui aurait permis de renforcer l’échange d’électricité de part et d’autre de la mer du Nord. La Norvège préfère annuler ce projet d’exportation d’énergie renouvelable pour la réserver à sa population.

Le ministre norvégien du pétrole et de l’énergie, Terje Aasland, a finalement annoncé le 16 mars que la demande de licence de NorthConnect pour une nouvelle connexion électrique entre la Norvège et l’Écosse était rejetée. Le projet de NorthConnect fut mis en pause pendant près de trois ans, les autorités norvégiennes ne parvenant pas à prendre une décision sur cette proposition controversée, partagée entre l’idée d’exporter de l’électricité et de protéger sa population des fluctuations du marché international.
Le projet visait à construire une interconnexion sous-marine de 1,4 GW entre la Norvège et l’Écosse. Ce câble électrique hybride de 665 kilomètres de long aurait permis des échanges entre l’énergie éolienne écossaise et l’énergie hydraulique norvégienne.
Bien que plus coûteux, les câbles hybrides permettent d’envoyer et recevoir de l’électricité et promettent un meilleur équilibre entre demande et approvisionnement et dans la gestion de la fluctuation des prix. Un équilibre d’autant plus crucial à terme avec l’augmentation de la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique dont l’approvisionnement peut être incertain et soumis aux conditions météorologiques.
L’Écosse va produire de plus en plus d’énergie éolienne dans la mer du Nord, mais le volume de production peut fluctuer et son stockage est difficile. De l’autre côté, la Norvège dispose d’un excédent d’énergie hydroélectrique, qui peut être stockée et mise en service ou hors service plus facilement.
NorthConnect a estimé que ce câble permettrait d’économiser plus de 2 millions de tonnes d’équivalent CO2 par an en vendant de l’hydroélectricité à l’Écosse, qui réduirait ainsi ses besoins en gaz, soit l’équivalent des émissions d’un million de voitures particulières au Royaume-Uni.
De plus, l’exportation d’électricité peut s’avérer lucrative pour la Norvège, car le Royaume-Uni est prête à payer cher cette énergie – sa population ayant l’électricité la plus chère d’Europe.
La direction norvégienne des ressources en eau et de l’énergie avait estimé en 2019 que le projet NorthConnect serait économiquement et socialement rentable pour la Norvège.
Cependant, « il est important pour le gouvernement de s’assurer que nous avons un système électrique qui répond aux objectifs de base de l’approvisionnement en électricité à tout moment », a déclaré M. Aasland, membre du parti travailliste, selon le communiqué du ministère.

Pour le ministère, la seule considération économique « n’est pas suffisante » pour accorder la licence, qu’il justifie par des considérations liées aux limitations de la capacité du réseau entre le sud et le nord du pays, à l’incertitude de l’exposition du système électrique norvégien aux systèmes énergétiques d’autres pays, et aux changements sur le marché européen de l’énergie.
NorthConnect a demandé une licence pour établir une nouvelle connexion avec l’Écosse en 2017. Le gouvernement écossais a approuvé le projet en 2019. Mais le gouvernement norvégien de la dirigeante du parti conservateur Erna Solberg a mis en suspens le processus d’octroi de licence en 2020.
Depuis 2021, Jonas Gahr Støre, du parti travailliste, dirige un gouvernement de coalition minoritaire avec le parti du centre. Et les deux partis n’étaient pas d’accord sur la stratégie à suivre. Le premier ministre était favorable à l’exportation d’énergie et à l’investissement dans les câbles hybrides. Le Parti du centre, quant à lui, estimait que l’énergie doit avant tout être abordable pour la population et couvrir les besoins de l’industrie norvégienne.
Le gouvernement a récemment déclaré qu’il n’autoriserait aucun projet de connexion internationale de ce genre pendant les quatre prochaines années.
Deux câbles reliant le réseau électrique norvégien à l’Allemagne et à la Grande-Bretagne sont déjà opérationnels depuis 2020 et 2021. Ils ont permis d’augmenter la capacité d’exportation de la Norvège de 2,8 GW, pour atteindre une capacité d’exportation totale d’environ 9 GW. La capacité d’exportation de la Norvège a augmenté de 60 % au cours des dix dernières années, et le projet de NorthConnect aurait permis d’augmenter la capacité d’exportation de 15 % supplémentaires d’ici 2030.
Mais ces câbles ont également coïncidé avec une augmentation des prix de l’énergie pour la population norvégienne. La connexion aux réseaux électriques étrangers signifie également que la Norvège est affectée par les turbulences venues de l’extérieur.
Le sud du pays, région où se trouvent les câbles d’exportation, a été fortement touché par la crise énergétique européenne due à la diminution de l’approvisionnement en gaz de la Russie. Les prix de l’électricité ont bondi dans le sud de la Norvège à la fin de l’année 2021, ce qui a contribué à creuser l’écart entre le sud de la Norvège et les régions du centre et du nord du pays.
En juillet 2022, le prix de l’électricité dans le nord de la Norvège était d’environ 2–3 øre (0.2 à 0.3 centimes d’euros) par kilowattheure mais d’environ 300–400 øre dans le sud (26 à 35 centimes).
Cette situation crée des frustrations au sein de la population qui vit principalement dans le sud du pays. Le Trøndelag (Norvège centrale) et la Norvège septentrionale ne représentent que 16 % de la population totale du pays.
Et la moitié de la population norvégienne a du mal à comprendre ces écarts de prix entre le nord et le sud, selon une étude IPSOS pour NorgesEnergi, l’une des plus grandes entreprises norvégiennes à bas prix sur le marché de la distribution d’électricité.
La Norvège est en effet divisée en cinq grandes régions qui ont des prix de l’électricité différents.
Si le nord de la Norvège ne peut pas vraiment exporter son électricité, il est en revanche hermétique aux fluctuations du marché européen de l’énergie. Le sud de la Norvège peut exporter de l’électricité à un prix élevé lorsque d’autres pays en ont besoin, mais cela se répercute sur les prix de l’électricité dans la région. Le nord est également exonéré de la taxe sur l’électricité et de la TVA.
L’été dernier, le sud a également connu un manque de précipitations et le niveau de l’eau dans les réservoirs pour les barrages était bas, ce qui a renforcé les craintes du gouvernement quant à l’incertitude de l’approvisionnement avec des sécheresses de plus en plus nombreuses dans les années à venir.
De plus, les capacités d’acheminement entre les régions de la Norvège est limitée. La Norvège ne peut transférer que 500 MW entre le nord et le sud du pays. Chez son voisin suédois, cette capacité est de 6 000 MW.
« Nous devons utiliser l’énergie norvégienne pour construire l’industrie norvégienne et contribuer à la compétitivité des prix en Norvège. L’expérience acquise avec les deux derniers câbles étrangers indique que nous ne devrions pas planifier d’autres exportations maintenant. C’est pourquoi nous refusons ce câble privé étranger », a déclaré le ministre de la recherche et de l’enseignement supérieur, Ola Borten Moe, du Parti du centre.
NorthConnect est une coentreprise détenue par quatre entreprises publiques scandinaves : Lyse, Agder Energi, Hafslund E‑Co, et l’entreprise publique suédoise Vattenfall. Les trois compagnies d’électricité norvégiennes sont détenues par 47 municipalités des comtés de Rogaland et d’Agder et par la ville d’Oslo, dans le sud du pays.
La procédure de demande de licence a redémarré début février et le gouvernement a répondu quelques jours après que NorthConnect a soumis ses documents. L’entreprise a demandé au gouvernement de ne pas tirer de conclusions hâtives, arguant que le câble ne serait pas opérationnel avant 2030, qu’il n’influencerait pas les prix de l’électricité norvégienne avant cette date et que le Royaume-Uni disposerait d’un important excédent d’énergie éolienne à ce moment-là.
Mais pour le ministre, la sécurité d’approvisionnement est déjà assurée par les deux autres câbles hybrides. Et il considère que les tensions extraordinaires autour de l’énergie en Europe actuellement pourraient devenir de plus en plus fréquent dans les années à venir.
Le coût du projet a été estimé à environ 1,7 milliard d’euros, répartis entre la Norvège et le Royaume-Uni. Plusieurs millions ont déjà été dépensés.