Un rapport accablant sur la police de Londres fait état de « racisme, misogynie et homophobie institutionnels »

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21 mars 2023

Déclenché par les protestations suscitées par des affaires de meurtre et de viol impliquant des agents de la police métropolitaine britannique, le rapport Casey fait état de « racisme, misogynie et homophobie institutionnels ». Pour le maire de Londres, Sadiq Khan, ce jour est « l’un des plus sombres de l’histoire » de la police métropolitaine.

Police métropolitaine de Londres
Police métropolitaine de Londres. Illustration | © Krzysztof Hepner

Un rapport publié le 21 mars qui accable la police londonienne à l’issue d’un an d’audit « a révélé l’existence de racisme, de misogynie et d’homophobie institutionnels au sein de la police métropolitaine ».

Le Metropolitan Police Service (The Met), le service de police du Grand Londres aussi appelé Scotland Yard du nom de son quartier général, a nommé l’an dernier la baronne Louise Casey pour mener un examen indépendant de sa culture et de son comportement. L’audit, appelé Rapport Casey, a débuté en février 2022 et s’est achevé en mars 2023. Il fait suite à l’enlèvement, au viol et au meurtre de Sarah Everard par un agent de la Met qui a ému tout le pays. D’autres évènements ont également suscité l’inquiétude du public à l’égard de la police.

Après la publication du rapport, la baronne Casey a déclaré qu’elle avait « découvert une organisation dont sa mission principale est cassée ». L’équipe chargée de l’audit s’est entretenue avec des officiers et du personnel de police et a analysé les informations, les données, les systèmes et les performances opérationnelles pour évaluer la culture et les standards de la police métropolitaine.

« Aujourd’hui est sans aucun doute l’un des jours les plus sombres des 200 ans d’histoire de notre service de police Met », a déclaré le maire de Londres, Sadiq Khan, qui avait demandé l’examen. Dans une déclaration écrite, il a accepté les conclusions relatives au racisme, à la misogynie et à l’homophobie institutionnels au sein des forces de police.

La police métropolitaine « n’a pas réussi à garantir l’intégrité de ses agents »

En mars 2021, Sarah Everard fut enlevée, violée et assassinée par un agent de la police métropolitaine, Wayne Couzens, qui purge actuellement une peine de prison à perpétuité. Cette affaire a suscité l’indignation du pays et des manifestations contre les violences à l’égard des femmes.

En octobre 2021, une femme, écœurée par le meurtre de Mme Evrard, a accusé un autre policier, David Carrick, de viol. Sa plainte a ensuite permis à plusieurs femmes de dénoncer M. Carrick révélant qu’il avait violé, agressé sexuellement et abusé de femmes pendant 20 ans.

Il est apparu que des cas d’agression, de harcèlement et de violence domestique à l’encontre de M. Carrick avaient été portés à l’attention de la Met et de trois autres forces de police à neuf reprises, mais que rien n’avait amené à des poursuites. Au cours de l’été 2021, M. Carrick a été accusé de viol et arrêté, mais la police métropolitaine l’a autorisé à continuer à travailler dans le cadre de fonctions restreintes. Décrit dans le rapport comme « l’un des délinquants sexuels les plus prolifiques du pays », il a soudainement admis 49 chefs d’accusation concernant 12 victimes en décembre 2022.

« Si vous ne pouvez pas faire confiance à la police pour se surveiller elle-même, pour respecter ses propres règles, pour ne pas avoir de criminels dans ses propres rangs, et pas seulement des criminels mais aussi des problèmes de comportement, où cela nous mène-t-il lorsque, pour parler franchement, un type avec un badge vous montre son badge et vous dit “Montez dans ma voiture” ? » s’est interrogée la baronne Casey.

La baronne Casey of Blackstock est une conseillère indépendante en matière de protection sociale. Elle a travaillé pour cinq premiers ministres sur des questions telles que les sans-abris, l’exploitation sexuelle des enfants et l’intégration sociale. Elle était auparavant commissaire aux victimes et aux témoins d’actes criminels.

La plus grande force de police du Royaume-Uni était autrefois respectée pour son service et sa proximité, mais la confiance des citoyens dans la police a chuté en quelques années seulement. Selon le rapport, la confiance du public dans la capacité de Scotland Yard à faire du bon travail au niveau local est passée de 70 % en 2016 à 45 % en mars 2022. Les personnes appartenant à des minorités ethniques ont moins confiance dans la police, mais les résultats en baisse chez les Londoniens blancs montrent que l’écart se réduit.

La Met « a échoué à garantir l’intégrité de ses agents au fil du temps ». ET ses problèmes internes affectent à la fois son personnel et la population.

Marche des 97% pour les droits des femmes à Londres
La marche des 97% en avril 2021 à Londres, manifestant pour les droits des femmes. Une enquête menée par ONU Femmes du Royaume-Uni a révélé que 97 % des femmes âgées de 18 à 24 ans avaient été victimes de harcèlement sexuel | © Ehimetalor Akhere Unuabona

Des réfrigérateurs en mauvais état détruisent des preuves. Des cas de management toxique

Frappé par des mesures d’austérité, le budget de la Met a baissé de 700 millions de livres (795 millions d’euros), soit 18 %, par rapport au début de la décennie précédente. Cette somme aurait permis de recruter 9 600 agents supplémentaires.

Les réfrigérateurs et congélateurs destinés à conserver les preuves des crimes sexuels sont en si mauvais état qu’un agent a « perdu le compte » du nombre de fois où elle a demandé à un collègue où se trouvaient les preuves nécessaires avant de s’entendre dire qu’elles avaient été perdues. Les congélateurs contenant les preuves obtenues auprès des victimes et des survivants de violences sexuelles, notamment des prélèvements, du sang, de l’urine et des sous-vêtements, sont tellement pleins qu’il faut parfois trois agents pour arriver à les fermer. Un congélateur est tombé en panne pendant une vague de chaleur en 2022, si bien que toutes les preuves ont dû être détruites parce qu’elles n’étaient plus utilisables.

Mais selon le rapport Casey, le problème de la police londonienne n’est pas tant une question de budget que de problème de gestion.

La police londonienne est géré « comme un ensemble de pièces mouvantes déconnectées et concurrentes », avec une série « d’initiatives non coordonnées et de courte durée » et une mauvaise gestion du personnel. Certains officiers sont très stressés, il n’y a pas d’aide pour faire grandir les bons officiers, tandis que la police ne parvient pas à « se prémunir contre ceux qui cherchent le pouvoir pour en abuser ».

Le commandement de la protection parlementaire et diplomatique – au sein duquel MM. Couzens et Carrick ont travaillé – est « un coin sombre de la police où les mauvais comportements peuvent facilement se développer ». Le commandement des armes à feu spécialisées de la police a une « culture profondément troublante et toxique » où « les hommes organisent des concours sur le nombre de fois où ils peuvent faire pleurer leurs étudiantes ».

Par ailleurs, 12 % des femmes de la police métropolitaine ont déclaré avoir été harcelées ou agressées au travail, et un tiers d’entre elles ont été victimes de sexisme.

Une policière a déclaré que son collègue la touchait fréquemment de manière inappropriée sur des parties intimes de son corps pendant qu’elle se changeait dans les vestiaires communs et que le fait de le signaler à son sergent n’avait rien changé. Une autre policière a déclaré avoir été « victime d’abus domestiques et sexuels » de la part d’un autre policier, qui ont dégénéré en viol à plusieurs reprises.

En interne, plus d’un membre sur cinq (22 %) a été victime d’harcèlement (bullying). Un agent ouvertement gay a même déclaré qu’il avait « peur de la police ».

De plus, les agents issus de minorités ethniques sont plus susceptibles d’être victimes de discrimination, de racisme et de moqueries.

Un agent musulman a vu ses chaussures fourrées avec du bacon, un agent sikh s’est fait couper la barbe (le sikhisme interdit les hommes de se couper les cheveux et la barbe). Les agents et le personnel issus de minorités ethniques qui sont victimes de racisme au travail « sont systématiquement ignorés » dans une institution où « le racisme et les préjugés raciaux sont renforcés au sein des systèmes de la Met ».

Les agents issus de minorités ethniques sont beaucoup plus susceptibles de faire l’objet de mesures disciplinaires. Selon le rapport long de 363 pages, « il est clair que tout le monde n’est pas raciste au sein de la Met, mais il y a des racistes et des personnes ayant des attitudes racistes au sein de l’organisation ».

Le racisme affecte également la population, car la police londonienne « ne protège pas suffisamment et sur-contrôle les londoniens noirs ». L’un des problèmes mis en évidence est le manque de diversité au sein des forces de police.

La Met n’accepte pas les critiques

La population de Londres est plus diverse que le reste du Royaume-Uni. Les Britanniques blancs constituent moins de la moitié de sa population, une personne sur cinq n’a pas l’anglais comme langue principale et Londres présente des écarts de richesse et de pauvreté plus importants que dans d’autres régions du Royaume-Uni.

De l’autre côté, les policiers londoniens ne ressemblent pas à la majorité des Londoniens, note le rapport. La plupart des policiers ne vivent pas à Londres, 82 % sont blancs et 71 % sont des hommes. Si le recrutement continue sur la dynamique actuelle, le personnel de la police ne sera équilibré en termes de genre qu’en 2053, et ne sera représentatif de la diversité ethnique actuelle de Londres qu’en 2061, selon le rapport.

Une porte-parole de la Metropolitan Police Federation, l’association du personnel de la police métropolitaine représentant l’ensemble des 30 000 agents, a déclaré qu’il était « impossible d’échapper au fait que les services de police doivent s’améliorer pour regagner la confiance du public », mais elle a également jugé inacceptable le « discours véhiculé dans les médias et par certains dirigeants de la police et hommes politiques au cours des dernières semaines, selon lequel les agents de police devraient être présumés coupables ». Elle a également souligné que le moral des policiers est « en chute libre, traumatisés par les attaques constantes contre leur profession dont ils sont fiers ».

Andy George, président de l’Association nationale de la police noire au Royaume-Uni, a déclaré que la Fédération de la police métropolitaine « échoue à reconnaitre pas le mal et la douleur subis par ses membres qui ont courageusement dénoncé la culture au sein des services ».

Le rapport estime également que la police métropolitaine n’accepte pas les critiques, ne tire les leçons de ses erreurs et adopte une attitude selon laquelle personne en dehors de la Met ne peut comprendre la nature particulière et les exigences uniques de son travail. « Cet hubris démesuré est devenu une faiblesse grave. »

Le nouveau chef de la police métropolitaine depuis septembre, Sir Mark Rowley, admet l’existence d’un problème de racisme, mais refuse de reconnaître qu’il est institutionnel. « Je ne vais pas utiliser un terme qui est à la fois ambiguë et politisée. Le rapport Casey ne fait que redoubler ma détermination », a‑t-il déclaré lors d’une matinale de la BBC, avant d’exposer ses principales initiatives, telles que l’implication d’un plus grand nombre de femmes dans les enquêtes sur les crimes sexuels, l’amélioration des horaires de service, des efforts accrus pour poursuivre les 500 délinquants les plus dangereux de Londres, et un meilleur équipement des policiers.

« Je ne vais pas m’asseoir devant les Londoniens et dire que nous allons régler ces problèmes du jour au lendemain, car cela manquerait de crédibilité », a‑t-il ajouté.

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Clément Vérité

Clément est le rédacteur en chef et fondateur de Newsendip.

Il a démarré dans l'univers des médias en tant que correspondant à 16 ans pour un journal local après l'école et ne l'a jamais quitté depuis. Il a ensuite pu travailler pendant 7 ans au New York Times, notamment en tant que data analyst. Il est titulaire d'un Master en management en France et d'un Master of Arts au Royaume-Uni en stratégie marketing et communication internationale. Il a vécu en France, au Royaume-Uni et en Italie.