Le Conseil fédéral suisse souhaite garantir l’accessibilité de l’argent liquide en l’inscrivant dans la Constitution.
Le Conseil fédéral suisse, dont les sept membres font office de chef d’État et de gouvernement dans le pays, souhaite créer un projet visant à garantir l’accessibilité de l’argent liquide dans la Constitution suisse.
Le projet fait écho à l’initiative populaire « L‘argent liquide, c‘est plus de liberté » lancée en 2021 et déposée en février. Les initiatives populaires sont des proposition de modifications de la constitution suisses émanant des citoyens qui peuvent faire l’objet d’un référendum si elles ont recueilli 100 000 signatures, soit 1,2 % de la population suisse, en 18 mois.
L’initiative demandait que les billets et pièces en franc suisse soient disponibles en quantité suffisante et que tout projet visant à remplacer le franc suisse fasse l’objet d’un vote des citoyens.
Les auteurs de l’initiative populaire craignent que les transactions numériques ne fassent disparaître les espèces.
Ils considèrent que le numéraire apporte plus de liberté et d’indépendance que les systèmes de paiement numériques. Les initiateurs affirment que l’argent liquide est plus facile à utiliser, qu’il ne dépend pas de la technologie, qu’il est plus sûr et qu’il constitue un élément fort de la culture suisse.
L’initiative « L‘argent liquide, c‘est plus de liberté » est notamment soutenue par le Mouvement suisse pour la liberté, un groupe civil libertaire suisse, le groupe antivax Freiheits-Trychler, L’Alliance constitutionnelle suisse, qui défend les « droits fondamentaux et l’autodétermination », et les Amis de la Constitution. Les Amis de la Constitution prônent la démocratie directe et ont été créés en 2020 pour demander un référendum contre la loi Covid-19, instaurant un droit d’urgence qui permettait aux autorités d’approuver des lois rapidement à l’instar de l’état d’urgence.
Le 17 mai, le Conseil fédéral suisse a reconnu « reconnaît l’importance, pour l’économie et la société, du rôle joué par le numéraire » et s’est montré en faveur de l’initiative.
Les lois fédérales garantissent déjà l’approvisionnement et l’utilisation de la devise suisse actuelle, mais le Conseil veut assurer l’accessibilité de l’argent liquide dans la Constitution.
Dans des pays comme la Suède, le Danemark, le Royaume-Uni, l’Irlande ou les Pays-Bas, les paiements numériques ont rapidement constitué la majorité des transactions et certains magasins n’acceptent plus les paiements en espèces. La circulation des petites valeurs, comme les pièces de un et deux centimes, fait également l’objet d’un débat dans la zone euro.
Déclin rapide de l’utilisation des espèces en Suisse
En Allemagne, en Autriche ou en Suisse, l’utilisation de l’argent liquide est traditionnellement répandue.
Mais le paiement en billets et en pièces a également tendance à diminuer en Suisse, comme l’a constaté la Banque nationale suisse dans une enquête réalisée en 2020.
Le numéraire reste le moyen de paiement le plus utilisé par la population en considérant de nombre de paiements non récurrents exécutés.
Toutefois, sa part a considérablement diminué depuis 2017. Alors que 70 % des paiements étaient encore réglés en espèces en 2017, cette part n’était plus que de 43 % en 2020.
En se basant sur le montant des paiements non récurrents, les espèces correspondaient à 45 % des transactions en 2017, alors qu’elles ne représentent plus que 24 % des sommes payées en 2020. La pandémie de Covid-19 a accéléré l’utilisation des moyens de paiements numériques, et l’argent liquide est désormais principalement utilisé pour les petits montants, inférieurs à 20 francs (20 euros).
La Banque nationale suisse a également noté que les personnes de plus de 55 ans et les ménages à faible revenu utilisent plus les espèces que la moyenne. Dans le même temps, les paiements et les services bancaires mobiles, qui ne favorisent pas l’utilisation d’argent liquide, sont considérés comme utiles pour éviter l’exclusion financière des plus vulnérables dans certains pays africains.
Préoccupées par son déclin, des voix se sont élevées en Suisse pour protéger l’utilisation de l’argent liquide dans le pays.
Une motion déposée en 2020 visait à inscrire le droit de payer en espèces, qui est déjà inclus dans le droit suisse, dans la constitution. Mais le Conseil national, l’équivalent de l’Assemblée nationale, l’a rejetée en 2022.
En 2018, un postulat de l’ancienne conseillère nationale Priska Birrer Heimo, du parti socialiste, visait à faire étudier par les élus un renforcement du droit de payer en espèces. Le Conseil national l’a adopté en 2020.
Mais le Conseil fédéral a rejeté l’idée en septembre dernier, car ce « changement de paradigme » aurait pu contraindre les entreprises à accepter des paiements en espèces dans le cadre de contrats commerciaux, ce qui « porterait gravement atteinte à la liberté contractuelle » et pourrait « distordre la concurrence entre les entreprises ».
Cette fois-ci, le Conseil est en faveur de la sécurisation de l’accès à l’argent liquide et de la consultation publique en cas de changement de monnaie nationale par la Constitution.
Estimant que l’initiative populaire devait être plus précise et plus clairement formulée, le Conseil a demandé au Département fédéral des finances d’élaborer d’ici fin août un contre-projet qui arriveraient aux résultats recherchés par l’initiative populaire.
La population devra encore adopter le contre-projet par référendum. Mais il aura probablement plus de chances de passer car les initiatives populaires sont rarement acceptées par les citoyens suisses.
En octobre dernier, le gouvernement italien a déclaré vouloir augmenter le plafond des paiements en espèces à 10 000 euros, ce qui selon l’opposition risquait de favoriser l’économie souterraine et les activités criminelles.